L'abbé Jacques Grand’Maison (1931-2016), acteur incontournable et observateur averti des 50 dernières années dans le sillage de la Révolution tranquille au Québec qui s'est déroulée dans les années 60 et 70 est décédé à 5 novembre 2016 à l'âge de 84 ans des suites d'un cancer des os. Il était prêtre du diocèse de St-Jérôme (Québec). Il a oeuvré dans la pastorale ouvrière, comme professeur à l'Université de Montréal et comme auteur de nombreux ouvrages sur la société québécoise et sur l'Église catholique au Québec. Son rayonnement fut immense. Il a écrit plus de 50 volumes.


Pensées d'un fils de la Révolution tranquille inspirées par le décès de Jacques Grand’Maison
Dans ses derniers écrits, il prenait ses distances avec certaines orientations de la société québécoise actuelle et manifestait un certain dépit de voir la chute des valeurs dans cette société qu'il a aimé au plus haut point. «Ce qui me scandalise le plus du monde d’ici au Québec, écrivait-il, c’est sa superficialité et son vide spirituel » dans Ces valeurs dont on parle si peu (2015). Un "passeur" sans héritiers : tel fut le drame de Jacques Grand'Maison.

Les suites de la Révolution tranquille (voir note à la fin) des années 1960 au Québec

Les deux chemins des acteurs de la Révolution tranquille du côté religieux pourraient se caractériser ainsi :

- Adaptation qui évacue non seulement les pratiques mais aussi le contenu de la foi et qui prône l'émancipation dure et totale qui aboutit pour certains à renier officiellement les racines catholiques.

- Adaptation et réforme conscientes, comme chez Grand’Maison et tant d'autres, avec comme effet secondaire non recherché, la disparition des racines dans le processus d'émancipation. Ce mouvement se développe à à l'intérieur et aussi à l'extérieur de l'Église qui perd non seulement son statut et sa crédibilité sociale mais aussi son pouvoir d'attraction pour les nouvelles générations. D'où le désert religieux où le Québec se retrouve et une certain vide spirituel du peuple québécois qui se console dans l'humour. Voir mon article sur le Code Québec de Jean-Marc Léger et autres..

Des icônes

Une icône qui a accompagné le passage sans laisser d'héritiers : Gilles Vigneault Voir Gilles Vigneault : un pays intérieur

Un autre icône qui marque la rupture et ouvre un temps nouveau : Robert Charlebois.

Le processus de couper avec les racines religieuses se retrouve sur le plan de la nation et de sa culture française. La loi 101 a maintenu des francophones mais elle a été incapable de conserver la culture française. Montréal est passé à autre chose qui ressemble à un multiculturalisme à outrance où tout ce qui est étranger est chéri et valorisé alors que les traditions, les usages et l'histoire des « Canadiens français » est rejetée ou moquée.

Stéphane Baillargeon dans une article du journal Le Devoir qualifie Jacques Grand'Maison d' « homme-pont ». «Un homme-pont vient de s’effondrer, écrit-il. Chanoine et théologien, sociologue et universitaire, Jacques Grand’Maison se présentait lui-même comme un 'réformiste radical' ou encore comme un 'progressiste conservateur'. Janus à la québécoise, il avait une face tournée vers le passé, l’héritage, les traditions, les moeurs, les valeurs à protéger ; et une autre face regardant vers l’avenir, le progrès, les réformes à entreprendre pour assouvir un appétit de bonheur, une soif de consolation. »

Hermann Giguère
le 8 novembre 2016
Rhéto 55-56 au Collège de Lévis
Théo 62 Université Laval à Québec


P.S. Le réputé théologien de la libération, Gustavo Gutiérrez, le 7 novembre 2016, disait dans son message de à l’assemblée mondiale de Pax Romana , tel que rapporté par La Documentation Catholique : « Nous vivons dans un monde à l’individualisme croissant, fasciné par les changements que la technique offre à de grands secteurs de l’humanité. Ce n’est pas le lieu d’insister sur le fait que c’est aussi une étape historique qui a rendu possibles des avancées significatives dans différents domaines. Mais le fait est que l’on parle d’un temps nouveau, et que parfois, on regarde avec un certain rejet un passé proche dont je pense qu’il est toujours là, présent, et qu’il a beaucoup à nous apprendre. »

NOTE SUR LA RÉVOLUTION TRANQUILLE AU QUÉBEC

Le terme « révolution tranquille » vient de la traduction du terme « quiet revolution » utilisé en anglais pour décrire ce qui se passait au Québec dans les années 1960. Il désigne une période de l'histoire contemporaine du Québec caractérisée par de nombreux changements sociaux et une intervention importante de l'État dans diverses sphères de la société. Cette période s'étend de 1959-1960 jusqu'aux années 1970. Elle voit une consolidation de l'État québécois qui se lance sur le chemin de l'État-providence par la création de nombreux programmes sociaux, par une réforme totale du système d'éducation et par la mise en place d'une véritable séparation de l'Église catholique et de l'État.






Extrait de l'article de Stéphane Baillargeon dans le journal Le Devoir du 8 novembre 2016

Pour lui, comme pour plusieurs jeunes militants réformateurs de cette époque, la critique féroce du régime duplessiste, de la « Grande Noirceur » et de l’institution religieuse n’implique pas le rejet de la religion.

Il va donc travailler à transformer le catholicisme de l’intérieur pour l’engager dans un nouveau dialogue avec le monde moderne, dans un esprit finalement assez près de l’aggiornamento de Vatican II. Il devient une sorte de pasteur social dont l’implication va culminer avec l’expérience d’autogestion de l’usine textile de Tricofil dans les années 1970 où il sera appelé à faire de la sociologie du groupe des ouvriers-patrons.

En même temps, l’intellectuel d’Église réfléchit à une théologie pour son temps tout en formant de nouveaux clercs et laïcs à une pensée chrétienne renouvelée. Brillant élève, il est diplômé du Grand Séminaire de Montréal, de l’Université grégorienne au Vatican et finalement de l’Université de Montréal, où il devient professeur dès 1967. Il y restera 30 ans. Son nom figure en ligne dans la liste des professeurs émérites de la faculté de théologie et de sciences des religions.

Sa réputation semble moins bien assurée auprès des autres départements et dans la société. Le professeur Meunier [E.-Martin Meunier, professeur titulaire de l’École d’études sociologiques et anthropologiques de l’Université d’Ottawa] attribue cette mise à l’écart à la nature de l’oeuvre, moins théorique que celle de Fernand Dumont, par exemple, mais aussi à son côté plus grinçant et provocateur.

« Il aimait dire des choses que d’autres n’auraient pas osé dire, dit son fin connaisseur. À plusieurs moments de sa vie, il n’a pas hésité à décrier les évêques, les politiciens, les fonctionnaires et même ses collègues. Ça ne l’a pas aidé à se faire des amis. À mon avis, les groupes chrétiens auraient avantage à reconnaître encore plus la contribution de Jacques Grand’Maison. Et je crois que ça devrait être fait sous peu… »
Crédits photo Journal du Nord
Crédits photo Journal du Nord

Le professeur connaît d’autant mieux l’oeuvre de Jacques Grand’Maison qu’il prépare sa biographie intellectuelle.

« Il espérait que la modernisation du Québec étatique ne se ferait pas sans oublier les racines, les solidarités propres au christianisme qui ont façonné le Canada français pendant des siècles. Je pourrais dire qu’il tenait désespérément les deux bouts de la chaîne. Ce projet de liaison, il l’a dit et redit jusqu’à sa mort. »

Son dernier essai « sur l’état des moeurs au Québec » intitulé Ces valeurs dont on parle si peu (2015) reprenait l’inépuisable problème. Déjà malade, « parvenu à la dernière étape, face à son ultime départ », il livrait là son testament intellectuel et spirituel en revenant une dernière fois sur les tensions de notre modernité avancée.

« Ce qui me scandalise le plus du monde d’ici au Québec, y écrit-il, c’est sa superficialité et son vide spirituel. » Il propose aussi cette métaphore sur un monde perdu, le nôtre, hyperbranché et pourtant si déconnecté : « À quoi bon la ville intelligente et le précieux GPS, s’il y manque une petite boussole intérieure pour bien orienter le sens de sa vie ? »



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