Article paru dans la revue Pastorale Québec Vol. 131, n. 1 janvier-février 2019 pp. 8-9. Merci à l'abbé René Tessier rédacteur en chef, pour l'autorisation de le reproduire sur ce blogue.


Personnes priantes qu'on nomme orants dans les catacombes (Domaine public)
Personnes priantes qu'on nomme orants dans les catacombes (Domaine public)
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Lorsqu'on observe un "sujet qui prie", un "priant", on est renvoyé à une attitude, une expérience. Ce "sujet", cette personne met quelque chose en action. Il cherche à ouvrir un espace de communication, de dialogue. L'attitude, l'expérience particulière qui se développe et apparaît alors prend naissance et origine (anthropologiquement et existentiellement) à partir d'un "aveu d'insuffisance" ouvrant sur l'altérité, sur une espace où vont pouvoir se nouer des rapports interpersonnels, mais sans jamais enlever une sorte de tension faite de présence et d'absence, de proximité (d'union) et de distance (de séparation), de clarté radieuse et de nuit enténébrée...

La prière, en dernière analyse, est une réponse d'acceptation amoureuse du Dessein d'amour de Dieu, "formulée" ou rendue tangible d'une manière ou d'une autre.

La grâce ne détruit pas la nature. Il en est ainsi dans la prière comme dans toute activité spirituelle. Donc, je suis en droit de parler toujours de ma prière, même dans les plus hauts sommets de contemplation mystique. La prière reste toujours humaine. C'est le coeur, la voix d'un homme, d'une femme, qui se saisit dans sa relation à Dieu. D'où actualité permanente des psaumes.

Aveu d'insuffisance, le "manque-à-être"" (Du "besoin" au "désir")

La prière n'est pas quelque chose qui m'est extérieur. La prière est fondée sur une situation anthropologique. Elle part d'une prise de conscience de la finitude et des limites de la condition humaine comme telle. Pas de finitude, pas de limites, pas d'impuissance, pas de prière. Lorsque je prie, je dis toujours d'une certaine manière, "S'il-vous-plaît". En effet, lorsque je prie quelqu'un, il y a au coeur de ma démarche de prière, un inachèvement, une forme de "mendicité", de "pauvreté", d'"impuissance" qui s'exprime toujours. Je ne puis par moi-même me donner tout ce dont j'ai besoin. Cet inachèvement de l'homme peut se voir au plan antrhopologique à trois plans:

- au plan purement matériel : dans l'ordre matériel, je ne puis me donner tout ce dont j'ai de besoin pour survivre. J'ai besoin des autres. Je suis forcé de faire appel à l'autre; même sur ce plan il y a déjà une demande, une prière qui s'exprime;

- au plan de la dignité personnelle : dans l'ordre de la dignité personnelle, je fait appel aux respect de ma vie, de mes valeurs, de ma personne, de ma culture etc...Demande d'être reconnu comme quelqu'un. Recherche de soutien moral auprès d'autrui, Refus de toute forme d'exploitation qui rabaisse;

- au plan de l'amour: ici l'indigence existe du fait que je ne puis jamais forcer quelqu'un à m'aimer, à s'engager dans une relation interpersonnelle. L'exigence de communion de l'homme ne peut jamais être commandée. Sentiment de rejet quand il se heurte à un refus.

En résumé, nous pouvons retenir que l'aveu d'insuffisance est donc (d'un point de vue anthropologique) une prise de conscience que je ne puis me réaliser moi-même tout seul. Il ouvre une brèche, un espace où peut s'insérer la manifestation de mon désir profond. Ainsi "la prière se fait l'interprète de notre désir auprès de Dieu". (Saint Thomas d'Aquin). Cette manifestation du désir va atteindre deux buts:
* faire connaître mes attentes à autrui
* me faire prendre conscience de ma propre dépendance par rapport à l'autre. (L'enfant à qui on apprend à dire "s'il vous plaît").

Le rapport interpersonnel: ouverture sur l'autre.

Le croyant doit arriver à considérer l'objet de sa prière non comme un objet qui se consomme mais comme un objet qui a sa différence, sa consistance propre et qui donc ne sera jamais totalement possédé.

Le renoncement est la marque du désir, qui ne vise plus à se satisfaire de l'autre comme d'un objet qu'on consomme. On le reconnaît dans sa différence, comme "autre" alors. Désappropriation de soi. Le sentiment d'insatisfaction fait partie de la prière. Il est la preuve d'un désir non comblé que la prière ne fait qu'attiser. Il faut, dans la prière, viser ce rapport interpersonnel, véritable ouverture à l'autre. si l'on veut arriver à un véritable dialogue avec Dieu. Échange d'amour avec Dieu; échange d'amitié avec Celui dont on se sait aimé (cf. définition de la prière de sainte Thérèse d'Avila).

Distance et communion

Il faut noter ici la tension qui persiste dans le rapport interpersonnel établi par la prière. Le sentiment de présence et de communion n'arrive jamais à effacer la distance entre moi et l'autre. On reste toujours dans une certaine dualité qui provient de l'extériorité réciproque de deux libertés en présence. Même les sommets de l'union d'amour décrite comme une union de volontés par Jean de la Croix ne suppriment pas cette dualité ici-bas. (Montée du Carmel de saint Jean de la Croix II, IV)

Ces deux aspects dont je viens de parler se retrouvent d'ailleurs dans la foi qui donne accès auprès de Dieu, mais reste sans cesse obscure. Ainsi la foi est , selon une belle expression du P. Bernard, "l'espace où se déploie la prière". Elle signifie la proximité de Dieu et aussi la distance.

Toute prière commence par une confession de foi. À la suite de cette description du mouvement de la prière, on saisit mieux maintenant en quoi réside l'originalité de la prière chrétienne qui est toujours une relation vivante avec Dieu, notre Père en Jésus-Christ.

Mgr Hermann Giguère P.H.

Faculté de théologie et de sciences religieuses
de l'Université Laval
Séminaire de Québec


Article paru dans la revue Pastorale Québec Vol. 131, n. 1 janvier-février 2019 pp. 8-9 reproduit avec l'autorisation de la revue.


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