Réunis à la Maison généralice des Soeurs de la Charité de Québec à Beauport, le 4 mai 2016, plus de 200 prêtres et diacres ont goûté avec avidité le témoignage de Bernard Émond dans le cadre leur Assemblée annuelle. Je transcris les notes que j'ai prises lors de ce témoignage émouvant. Elles ne prétendent pas rapporter textuellement la teneur de l'entretien. Elles sont un aide-mémoire qui permet, cependant, d'identifier une démarche riche de sens et d'interrogations.


Période de questions après le témoignage de Bernard Émond à Québec le 4 mai 2016  (Crédit photo : H. Giguère)
Période de questions après le témoignage de Bernard Émond à Québec le 4 mai 2016 (Crédit photo : H. Giguère)
Monsieur Émond commence par situer d'où il parle. Pour le bénéfice de l'auditoire constitué de prêtres et de diacres, il rappelle qu'il se définit comme agnostique ouvert sur le mystère plus grand que nous et il résume le tout par ces mots "Je suis baptisé, mécréant et catholique". C'est la culture canadienne-française qui l'a nourri, explique-t-il. Il en garde une nostalgie qui est, pour lui, l'indice d'un manque. Les modèles qui ont nourri son enfance, les saints, sont disparus de l'horizon chez les contemporains. "Aujourd'hui, dit-il, je me sens orphelin." C'est l'hédonisme, le chacun pour soi plutôt que la sainteté qui prend toute la place. Il manque de quelque chose d'essentiel. "C'est un orphelin qui vous parle".

L'essentiel transcendant j'en ai trouvé des traces dans plusieurs de vos célébrations, notamment des funérailles comme celles de Pierre Falardeau présidée par le Père Guy Paiement S.J. ou celle de Pierre Vadeboncoeur chez les dominicains de Côte Ste-Catherine. Je me sens à l'aise en dehors de milieux intellectuels. Ma famille est une famille de petites gens où le respect de la solidarité et des convenances sociales avait une grande importance. Admiration.

Le sacré s'en va aujourd'hui. Il reste la parole, mais on compose trop facilement avec ce que les gens désirent au lieu de les inviter à s'élever. Ainsi au lieu des beaux chants liturgiques lors de funérailles, on acceptera la chanson de France Gall Besoin d'amour composée par Luc Plamondon parce que les gens la trouvent belle. Rien là pour sortir de soi-même, élever le niveau, c'est la "petite musique de la transcendance". Le monde ne se ramène pas à nous-mêmes, ni à ce que nous attendons. Si nous ne nous dépassons pas dans un ailleurs transcendant, alors on se contente d'avoir du "fun", du "fun", du "fun" et du "fun" jusqu'à la fin [en québécois "avoir du fun" c'est se donner du plaisir seul ou en groupe].

Vous croyez à la transcendance, vous ici prêtres et diacres. Parlez-nous de la transcendance. Parlez-nous des Écritures que vous avez, de la traversée de la Mer Rouge, des Béatitudes, de la Femme adultère etc. Nous avons besoin de votre patrimoine qui n'est pas seulement matériel, mais immatériel. Et le patrimoine immatériel ne coûte pas cher à transmettre comme la belle prière des agonisants qui se trouve dans le Petit Catéchisme et qui est remplie de souffle. En voici un extrait : "Renouvelez en lui, ô Père infiniment miséricordieux, tout ce qui a été corrompu par la fragilité humaine, ou détruit par la malice du démon..." Cette prière est magnifique. Elle révèle de grandes vérités : la fragilité humaine et la malice du démon, comme c'est le cas dans plusieurs prières anciennes qui ne se limitent pas à exprimer de bons sentiments. Ces prières sont d'une richesse symbolique très grande comme d'ailleurs les lieux de culte que sont les églises.

Pourquoi ne pas s'arrêter à regarder la décoration des églises, les symboles qu'on y trouve deviennent hélas! de plus en plus fermés. Il est nécessaire de les revoir et de les interpréter pour les visiteurs et les nouvelles générations. Danger de disparition de ces trésors de sens. C'est un patrimoine commun. La basilique de Sainte-Anne-de-Beaupré est le meilleur exemple de ce patrimoine commun.

Bernard Émond se dit inquiet devant la déchristianisation dans les sociétés occidentales. Vous devez, vous prêtres catholiques, résister, élever, ouvrir à la transcendance, ce qui est encore possible. L'âme d'un peuple perdure dans la continuité. Il cite une nouvelle de cinq pages de Tchekhov, L'étudiant, où le personnage, étudiant en théologie, s'interroge sur l'essentiel de la vie humaine. Parti chasser par une nuit froide, il rencontre deux veuves et lors d'un long partage le récit de la nuit de l'arrestation de Jésus leur permet de faire le lien entre le passé et le présent, ce qui laisse l'étudiant comblé. Sans regard vers le passé, sans ouverture sur l'avenir le présent se dilue dans l'inutile, commente monsieur Émond.

En conclusion, il invite les prêtres et religieux québécois à jouer un rôle de transmetteur car le peuple québécois ne pourra rien sans son passé, sans ses racines.


Notes prises par Mgr Hermann Giguère P.H.
Séminaire de Québec

4 mai 2016




Bernard Émond, cinéaste québécois

Il est né à Montréal en 1951. Anthropologue de formation, il vit quelques années dans le Grand Nord canadien, où il travaille à la télévision inuite. Documentariste à ses débuts, il arrive à la fiction avec un long métrage intitulé La Femme qui boit interprétée par Élise Guilbault qui remporte plusieurs prix pour son interprétation. D'autres longs métrages suivent dont Le Neuvaine ( Lire l'analyse qu'en fait Soeur Céline Lamonde sur ce blogue en 2005]) et le dernier en date en 2015 Le Journal d'un vieil homme, mettant en vedette Paul Savoie, qui est une adaptation de la nouvelle intitulée Une banale histoire d'Anton Tchekhov.


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