Sur Radio Vatican, le 13 mars, le Cardinal André Vingt-Trois, archevêque de Paris, donne son sentiment sur la lettre du Pape au sujet de la levée d' excommunication des quatre évêques consacrés par Mgr Lefebvre
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XIXº ANNEE - Nº 48
FRANÇAIS
JEUDI, 12 MARS 2009
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LETTRE SUR LA LEVEE DES 4 EXCOMMUNICATIONS
CITE DU VATICAN, 12 MARS 2009 (VIS). Aujourd'hui a été rendue publique la
Lettre de Benoît XVI à l'épiscopat catholique au sujet de la levée de
l'excommunication des évêques consacrés par Mgr.Lefebvre. En voici la
version française:
"Chers frères dans l'épiscopat. La levée de l'excommunication des quatre
évêques, consacrés en 1988 par Mgr.Lefebvre sans mandat du Saint-Siège, a
suscité, pour de multiples raisons, au sein et en dehors de l'Eglise
catholique une discussion d'une véhémence telle qu'on n'en avait plus connue
depuis très longtemps. Cet événement, survenu à l'improviste et difficile à
situer positivement dans les questions et dans les tâches de l'Eglise
d'aujourd'hui, a laissé perplexes de nombreux évêques. Même si beaucoup
d'évêques et de fidèles étaient disposés, à priori, à considérer
positivement la disposition du Pape à la réconciliation, néanmoins la
question de l'opportunité d'un tel geste face aux vraies urgences d'une vie
de foi à notre époque s'y opposait. Inversement, certains groupes accusaient
ouvertement le Pape de vouloir revenir en arrière, au temps d'avant le
Concile Vatican II: d'où le déchaînement d'un flot de protestations, dont
l'amertume révélait des blessures remontant au-delà de l'instant présent.
C'est pourquoi je suis amené à vous fournir quelques éclaircissements, qui
doivent aider à comprendre les intentions qui m'ont guidé moi-même ainsi que
les organes compétents du Saint-Siège à faire ce pas. J'espère contribuer
ainsi à la paix dans l'Eglise.
Le fait que le cas Williamson se soit superposé à la levée de
l'excommunication a été pour moi un incident fâcheux imprévisible. Le geste
discret de miséricorde envers quatre évêques, ordonnés validement mais non
légitimement, est apparu tout à coup comme totalement différent: comme le
démenti de la réconciliation entre chrétiens et juifs, et donc comme la
révocation de ce que le Concile avait clarifié en cette matière pour le
cheminement de l'Eglise. Une invitation à la réconciliation avec un groupe
ecclésial impliqué dans un processus de séparation se transforma ainsi en
son contraire : un apparent retour en arrière par rapport à tous les pas de
réconciliation entre chrétiens et juifs faits à partir du Concile, pas dont
le partage et la promotion avaient été dès le début un objectif de mon
travail théologique personnel. Que cette superposition de deux processus
opposés soit advenue et qu'elle ait troublé un moment la paix entre
chrétiens et juifs ainsi que la paix à l'intérieur de l'Eglise, est une
chose que je ne peux que déplorer profondément. Il m'a été dit que suivre
avec attention les informations auxquelles on peut accéder par internet
aurait permis d'avoir rapidement connaissance du problème. J'en tire la
leçon qu'à l'avenir au Saint-Siège nous devrons prêter davantage attention à
cette source d'informations. J'ai été peiné du fait que même des
catholiques, qui au fond auraient pu mieux savoir ce qu'il en était, aient
pensé devoir m'offenser avec une hostilité prête à se manifester. C'est
justement pour cela que je remercie d'autant plus les amis juifs qui ont
aidé à dissiper rapidement le malentendu et à rétablir l'atmosphère d'amitié
et de confiance, qui -comme du temps de Jean-Paul II- comme aussi durant
toute la période de mon pontificat a existé et, grâce à Dieu, continue à
exister.
Une autre erreur, qui m'attriste sincèrement, réside dans le fait que la
portée et les limites de la mesure du 21 janvier 2009 n'ont pas été
commentées de façon suffisamment claire au moment de sa publication.
L'excommunication touche des personnes, non des institutions. Une ordination
épiscopale sans le mandat pontifical signifie le danger d'un schisme, parce
qu'elle remet en question l'unité du collège épiscopal avec le Pape. C'est
pourquoi l'Eglise doit réagir par la punition la plus dure,
l'excommunication, dans le but d'appeler les personnes punies de cette façon
au repentir et au retour à l'unité. Vingt ans après les ordinations, cet
objectif n'a malheureusement pas encore été atteint. La levée de
l'excommunication vise le même but auquel sert la punition: inviter encore
une fois les quatre évêques au retour. Ce geste était possible une fois que
les intéressés avaient exprimé leur reconnaissance de principe du Pape et de
son autorité, bien qu'avec des réserves en matière d'obéissance à son
autorité doctrinale et à celle du Concile. Je reviens par là à la
distinction entre personne et institution. La levée de l'excommunication
était une mesure dans le domaine de la discipline ecclésiastique: les
personnes étaient libérées du poids de conscience que constitue la punition
ecclésiastique la plus grave. Il faut distinguer ce niveau disciplinaire du
domaine doctrinal. Le fait que la Fraternité St-Pie X n'ait pas de statut
canonique dans l'Eglise, ne se base pas en fin de comptes sur des raisons
disciplinaires mais doctrinales. Tant que la Fraternité n'a pas une position
canonique dans l'Eglise, ses ministres non plus n'exercent pas de ministères
légitimes dans l'Eglise. Il faut ensuite distinguer entre le niveau
disciplinaire, qui concerne les personnes en tant que telles, et le niveau
doctrinal où sont en question le ministère et l'institution. Pour le
préciser encore une fois : tant que les questions concernant la doctrine ne
sont pas éclaircies, la Fraternité n'a aucun statut canonique dans l'Eglise,
et ses ministres -même s'ils ont été libérés de la sanction ecclésiastique-
n'exercent de façon légitime aucun ministère dans l'Eglise.
A la lumière de cette situation, j'ai l'intention de rattacher à l'avenir
la Commission pontificale Ecclesia Dei -institution compétente, depuis 1988,
pour les communautés et les personnes qui, provenant de la Fraternité St-Pie
X ou de regroupements semblables, veulent revenir à la pleine communion avec
le Pape- à la Congrégation pour la Doctrine de la Foi. Il devient clair
ainsi que les problèmes qui doivent être traités à présent sont de nature
essentiellement doctrinale et regardent surtout l'acceptation du Concile
Vatican II et du magistère post-conciliaire des Papes. Les organismes
collégiaux avec lesquels la Congrégation étudie les questions qui se
présentent (spécialement la réunion habituelle des Cardinaux le mercredi et
l'Assemblé plénière annuelle ou biennale) garantissent l'engagement des
Préfets des diverses Congrégations romaines et des représentants de
l'épiscopat mondial dans les décisions à prendre. On ne peut geler
l'autorité magistérielle de l'Eglise à l'année 1962. Ceci doit être bien
clair pour la Fraternité. Cependant, à certains de ceux qui se proclament
comme de grands défenseurs du Concile, il doit aussi être rappelé que
Vatican II renferme l'entière histoire doctrinale de l'Eglise. Celui qui
veut obéir au Concile, doit accepter la foi professée au cours des siècles
et il ne peut couper les racines dont l'arbre vit.
J'espère avoir ainsi éclairci la signification positive ainsi que les
limites de la mesure du 21 janvier 2009. Cependant demeure à présent la
question: cette mesure était-elle nécessaire? Constituait-elle vraiment une
priorité? N'y a-t-il pas des choses beaucoup plus importantes? Il y a
certainement des choses plus importantes et plus urgentes. Je pense avoir
souligné les priorités de mon pontificat dans les discours que j'ai
prononcés à son début. Ce que j'ai dit alors demeure de façon inaltérée ma
ligne directive. La première priorité pour le Successeur de Pierre a été
fixée sans équivoque par le Seigneur au Cénacle: Toi...affermis tes frères.
Pierre lui-même a formulé de façon nouvelle cette priorité dans sa première
Epître: Vous devez toujours être prêts à vous expliquer devant tous ceux qui
vous demandent de rendre compte de l'espérance qui est en vous. A notre
époque où dans de vastes régions de la terre la foi risque de s'éteindre
comme une flamme qui ne trouve plus à s'alimenter, la priorité qui prédomine
est de rendre Dieu présent dans ce monde et d'ouvrir aux hommes l'accès à
Dieu. Non pas à un dieu quelconque, mais à ce Dieu qui a parlé sur le Sinaï;
à ce Dieu dont nous reconnaissons le visage dans l'amour poussé jusqu'au
bout, en Jésus-Christ crucifié et ressuscité. En ce moment de notre
histoire, le vrai problème est que Dieu disparaît de l'horizon des hommes et
que tandis que s'éteint la lumière provenant de Dieu, l'humanité manque
d'orientation, et les effets destructeurs s'en manifestent toujours plus en
son sein.
Conduire les hommes vers Dieu, vers le Dieu qui parle dans la Bible: c'est
la priorité suprême et fondamentale de l'Eglise et du Successeur de Pierre
aujourd'hui. D'où découle, comme conséquence logique, que nous devons avoir
à cur l'unité des croyants. En effet, leur discorde, leur opposition
interne met en doute la crédibilité de ce qu'ils disent de Dieu. C'est
pourquoi l'effort en vue du témoignage commun de foi des chrétiens -par
l'cuménisme- est inclus dans la priorité suprême. A cela s'ajoute la
nécessité que tous ceux qui croient en Dieu recherchent ensemble la paix,
tentent de se rapprocher les uns des autres, pour aller ensemble, même si
leurs images de Dieu sont diverses, vers la source de la lumière. C'est là
le dialogue interreligieux. Qui annonce Dieu comme Amour jusqu'au bout doit
donner le témoignage de l'amour: se consacrer avec amour à ceux qui
souffrent, repousser la haine et l'inimitié. C'est la dimension sociale de
la foi chrétienne, dont j'ai parlé dans l'encyclique Deus Caritas Est.
Si donc l'engagement ardu pour la foi, pour l'espérance et pour l'amour
dans le monde constitue en ce moment -et, dans des formes diverses,
toujours- la vraie priorité pour l'Eglise, alors les réconciliations petites
et grandes en font aussi partie. Que l'humble geste d'une main tendue soit à
l'origine d'un grand tapage, devenant ainsi le contraire d'une
réconciliation, est un fait dont nous devons prendre acte. Mais maintenant
je demande: Etait-il et est-il vraiment erroné d'aller dans ce cas aussi à
la rencontre du frère qui a quelque chose contre toi, et de chercher la
réconciliation? La société civile aussi ne doit-elle pas tenter de prévenir
les radicalisations et de réintégrer -autant que possible- leurs éventuels
adhérents dans les grandes forces qui façonnent la vie sociale, pour en
éviter la ségrégation avec toutes ses conséquences? Le fait de s'engager à
réduire les durcissements et les rétrécissements, pour donner ainsi une
place à ce qu'il y a de positif et de récupérable pour l'ensemble, peut-il
être totalement erroné? Moi-même j'ai vu, dans les années qui ont suivi
1988, que, grâce au retour de communautés auparavant séparées de Rome, leur
climat interne a changé, que le retour dans la grande et vaste Eglise
commune a fait dépasser des positions unilatérales et a atténué des
durcissements de sorte qu'ensuite en ont émergé des forces positives pour
l'ensemble. Une communauté dans laquelle se trouvent 491 prêtres, 215
séminaristes, 6 séminaires, 88 écoles, 2 instituts universitaires, 117
frères, 164 surs et des milliers de fidèles peut-elle nous laisser
totalement indifférents? Devons-nous impassiblement les laisser aller à la
dérive loin de l'Eglise? Je pense par exemple aux 491 prêtres. Nous ne
pouvons pas connaître l'enchevêtrement de leurs motivations. Je pense
toutefois qu'ils ne se seraient pas décidés pour le sacerdoce si, à côté de
différents éléments déformés et malades, il n'y avait pas eu l'amour pour le
Christ et la volonté de L'annoncer et avec lui le Dieu vivant. Pouvons-nous
simplement les exclure, comme représentants d'un groupe marginal radical, de
la recherche de la réconciliation et de l'unité? Qu'en sera-t-il ensuite?
Certainement, depuis longtemps, et puis à nouveau en cette occasion
concrète, nous avons entendu de la part de représentants de cette communauté
beaucoup de choses discordantes, comme suffisance et présomption, fixation
sur des unilatéralismes etc. Par amour de la vérité je dois ajouter que j'ai
reçu aussi une série de témoignages émouvants de gratitude, dans lesquels
était perceptible une ouverture des curs. Mais la grande Eglise ne
devrait-elle pas se permettre d'être aussi généreuse, consciente de la
grande envergure qu'elle possède, consciente de la promesse qui lui a été
faite? Ne devrions-nous pas, comme de bons éducateurs, être aussi capables
de ne pas prêter attention à différentes choses qui ne sont pas bonnes et
nous préoccuper de sortir des étroitesses? Et ne devrions-nous pas admettre
que dans le milieu ecclésial aussi sont ressorties quelques discordances ?
Parfois on a l'impression que notre société a besoin d'un groupe au moins,
auquel ne réserver aucune tolérance, contre lequel pouvoir tranquillement se
lancer avec haine. Et si quelqu'un ose s'en rapprocher -dans le cas présent
le Pape- il perd lui aussi le droit à la tolérance et peut lui aussi être
traité avec haine sans crainte ni réserve.
Chers Confrères, durant les jours où il m'est venu à l'esprit d'écrire
cette lettre, par hasard, au Séminaire romain, j'ai dû interpréter et
commenter le passage de l'Epître aux Galates. J'ai noté avec surprise la
rapidité avec laquelle ces phrases nous parlent du moment présent: Que cette
liberté ne soit pas un prétexte pour satisfaire votre égoïsme. Au contraire
mettez-vous, par amour, au service les uns des autres. Car toute la Loi
atteint sa perfection dans un seul commandement: Tu aimeras ton prochain
comme toi-même. Si vous vous mordez et vous dévorez les uns les autres,
prenez garde: vous allez vous détruire les uns les autres! J'ai toujours été
porté à considérer cette phrase comme une des exagérations rhétoriques qui
parfois se trouvent chez saint Paul. Sous certains aspects, il peut en être
ainsi. Mais malheureusement ce mordre et dévorer existe aussi aujourd'hui
dans l'Eglise comme expression d'une liberté mal interprétée. Est-ce une
surprise que nous aussi nous ne soyons pas meilleurs que les Galates? Que
tout au moins nous soyons menacés par les mêmes tentations? Que nous devions
toujours apprendre de nouveau le juste usage de la liberté? Et que toujours
de nouveau nous devions apprendre la priorité suprême: l'amour? Le jour où
j'en ai parlé au grand séminaire, à Rome, on célébrait la fête de la Vierge
de la Confiance. De fait, Marie nous enseigne la confiance. Elle nous
conduit à son Fils, auquel nous pouvons tous nous fier. Il nous guidera,
même en des temps agités. Je voudrais ainsi remercier de tout cur tous ces
nombreux évêques, qui en cette période m'ont donné des signes émouvants de
confiance et d'affection et surtout m'ont assuré de leur prière. Ce
remerciement vaut aussi pour tous les fidèles qui ces jours-ci m'ont donné
un témoignage de leur fidélité immuable envers le Successeur de Pierre. Que
le Seigneur nous protège tous et nous conduise sur le chemin de la paix!
C'est un souhait qui jaillit spontanément du cur en ce début du Carême, qui
est un temps liturgique particulièrement favorable à la purification
intérieure et qui nous invite tous à regarder avec une espérance renouvelée
vers l'objectif lumineux de Pâques".
BXVI-LETTRE/LEVEE EXCOMMUNICATIONS/... VIS
090312 (2410)
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Tiré de SME-Infonet
http://www.webzinemaker.com/sme/, webzine publié par la Société des prêtres du Séminaire de Québec.
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