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Année sacerdotale : Témoignage d'un futur prêtre - mon identité spirituelle de pasteur - Yves Fournier

À l'occasion de l'Année sacerdotale, Yves Fournier, diacre, séminariste du Diocèse de Québec, nous livre ici son témoignage sur sa vocation, son cheminement vers le presbytérat. Il nous décrit avec coeur, conviction et lucidité comment se construit pour lui son identité de pasteur dans le monde d'aujourd'hui pour le service de ses frères et soeurs. À lire non seulement par les futurs prêtres, mais aussi par tous laïques et prêtres qui en seront non seulement édifiés, mais stimulés dans leur vocation propre. Bonne lecture!



Session des séminaristes du Québec à l'occasion de l`Année sacerdotale
Session des séminaristes du Québec à l'occasion de l`Année sacerdotale
Réfléchir ou développer mon identité spirituelle en tant que pasteur ou futur pasteur, quelle tâche importante. Clairement, il apparaît évident que cette réflexion ne pourra se faire par une simple construction de l'esprit. Car on parle ici d'identité, valeur intrinsèque qui définit toute personne humaine dans ce qu'elle a de plus profond, donc, de plus vrai. Dès lors, cette réflexion, pour être vraiment incarnée et, donc, réelle, ne pourra partir que du terreau humain qui est le mien, celui qui a façonné ce que je suis devenu. Est-ce à dire que l'identité spirituelle d'une personne ne serait qu'unidimensionnelle ou n'impliquerait que le sujet touché et lui seul ? L'expérience, en l'occurrence la mienne, dans le cas présent, nous révèlera qu'il y a un autre acteur qui nous précède et qui nous accompagne dans cet itinéraire de vie, plus encore, il nous y fait tendre sans cesse en nourrissant le désir qui nous habite profondément, qui habite toute personne humaine, désir qui nous pousse à la rencontre de nos frères et sœurs en humanité. Voici, bien humblement, celui que je suis devenu grâce à cet Acteur, grâce à ces acteurs. Voici mon identité spirituelle.

Terreau qui m'a fait naître à mon identité spirituelle actuelle.

Tout d'abord, d'entrée de jeu, il est important de dire que la prise de conscience ou la découverte de notre identité spirituelle personnelle ne peut se faire que dans une incessante dynamique de relecture. Relecture des expériences de notre vie, relecture des rencontres jaillies de ces expériences, relecture de Sa présence dans ces expériences de rencontre, qu'elles soient joyeuses ou douloureuses. De plus, cette prise de conscience ou cette découverte identitaire n'aura jamais pour effet ou pour objet l'effacement ou l'élimination de notre génétique historique. Au contraire, elle vise à nous la révéler toujours plus et ce, dans une profondeur et une clarté jusque là inexplorées. Et c'est dans cette profondeur que se trouve l'Acteur premier du processus d'investigation qui est le nôtre et qui consiste à se mieux connaître soi-même. Et Celui qui ouvre la voie à cette recherche, c'est Dieu. C'est Lui qui vient donner sens et vie à notre véritable « moi », à notre unique « moi », celui qui, de toute éternité, est dans Son cœur. Ce n'est que par Son intermédiaire que l'on peut vraiment « être ce que l'on est ». Mais que de dépouillements à consentir pour y arriver: dépouillement de nos masques, dépouillement aussi des masques accolés à Dieu. Voilà l'œuvre de toute une vie, de toute notre vie avec Lui, en Lui. Mais en toute cette dynamique de recherche qui passe par un processus de déconstruction -construction, il a fallu qu'il y ait un élément déclencheur. À tout ce qui, en nous, est en puissance de vie, il a fallu la Vie qui est de toujours à toujours en acte pour dépasser cette puissance craintive et, ainsi, entrer dans la Vie, entrer dans notre véritable identité. Voilà ce qui fut l'élément déclencheur, voici ce qui, en moi, fit toute chose nouvelle.

Venez, les bénis de mon Père, recevez en partage le Royaume qui a été préparé pour vous depuis la fondation du monde. Car j'ai eu faim et vous m'avez donné à manger; j'ai eu soif et vous m'avez donné à boire; j'étais un étranger et vous m'avez recueilli; nu, et vous m'avez vêtu; malade, et vous m'avez visité; en prison, et vous êtes venus à moi. […] Seigneur, quand nous est-il arrivé de te voir affamé et de te nourrir, assoiffé et de te donner à boire? Quand nous est-il arrivé de te voir étranger et de te recueillir, nu et de te vêtir? Quand nous est-il arrivé de te voir malade ou en prison, et de venir à toi? […] Chaque fois que vous l'avez fait à l'un de ces plus petits, qui sont mes frères, c'est à moi que vous l'avez fait! (Mt 25,34-40)

Photo d'Yves Fournier, diacre, séminariste du Grand Séminaire de Québec
Photo d'Yves Fournier, diacre, séminariste du Grand Séminaire de Québec
Cette Parole a tout déclenché dans ma vie. Parole de Dieu, parole de Vie, plus tranchante qu'un glaive à deux tranchants, qui, un jour, soudainement, a ouvert une brèche en moi pour laisser jaillir la vie, Sa Vie. C'est cette parole qui, alors que j'approchais la trentaine, allait donner sens à des évènements très douloureux vécus plusieurs années auparavant. Elle me révélait, comme ça, aussi clairement qu'un cristal, que la main de la personne souffrante que j'avais tenu pendant des années, c'était la Sienne. Plus encore, cette même parole me permit de descendre à rebours dans mon histoire et d'expérimenter Sa présence continuelle dans mes propres souffrances, dans mes propres solitudes, dans mes propres drames. Le Seigneur avait toujours été là à mes côtés. Et c'est ma propre expérience de don avec la personne accompagnée qui m'avait révélé la présence fidèle et constante de notre Dieu, qui m'avait révélé la grâce agissante dans nos vies. C'est là que j'ai vraiment compris que la loi du don est la seule qui peut vraiment rendre heureux. Et, depuis, j'ai choisi d'entrer dans cette dynamique de vie qu'est le don. Ma relation à Dieu, au Christ et aux autres s'en est trouvée complètement transformée. Je commençais à découvrir mon identité profonde, celle qui allait me faire vivre.

Personnes ou situations qui me nourrissent spirituellement

Dès lors, l'expérience de proximité vécue avec le souffrant allait devenir mon terreau fertile. En conséquence, le contact régulier avec les personnes âgées, avec les grands malades ou avec les souffrants de toutes sortes devint un incontournable, plus encore, un besoin, pour bien nourrir ma vie intérieure. À travers eux, je sais que c'est le Christ que je visitais, je sais que c'est Lui que je touchais, je sais que c'est Lui que j'aimais. Mais, ces expériences de proximité auront surtout contribué à me mieux connaître avec mes limites, mes peurs et à les accepter telles quelles. Il n'y a rien comme la rencontre des gens dans leur vulnérabilité pour nous confronter à nos propres vulnérabilités, lesquelles peuvent devenir force de vie dans un don consenti. Tous ces gens rencontrés me révélèrent aussi un visage du Christ plus humain, plus accessible pour moi qui veut marcher à sa suite. Cela transforma aussi nécessairement ma relation à Dieu dans la prière.

Moyens pour garder le feu dans mon quotidien

Ces moyens sont simples, très simples et je crois qu'ils reflètent bien la spiritualité du prêtre diocésain. Le ministère pastoral ou la charité pastorale nourrit ma vie de prière, nourrit mon cœur à cœur avec Dieu et mon cœur à cœur avec Dieu nourrit ma charité pastorale. Dès lors, il est important pour moi de rencontrer, de toucher des hommes et des femmes au quotidien. De les rencontrer dans leurs joies, dans leurs peines, dans leurs souffrances, dans leurs espérances, même, dans leurs doutes. Être au contact du vrai, du réel pour être vrai et réel dans mon rapport au Seigneur. Écouter pour porter et pour offrir. Nécessairement, les temps d'oraison, les méditations de la Parole, les eucharisties sont habités de présences: la leur avec la mienne et la nôtre avec la Sienne (Mt 25, 34-40). Merveilleux échange de vie qui, à travers la relation, transforme et édifie mon rapport à Dieu et aux autres.

Motivations qui m'animent dans l'exercice du ministère

Une grande motivation qui, nécessairement, déteint sur toutes les autres: leur donner Dieu, leur dire Dieu, vivre Dieu par toute ma personne. Pour cela, toujours mieux Le connaître pour mieux L'aimer et mieux Le servir de façon à ce que tous ceux et celles vers qui Dieu m'enverra puissent mieux Le connaître, mieux L'aimer et mieux Le servir. Voilà ce qui m'habite profondément. Pour cela, ma petite personne ne saurait suffire. J'ai besoin de la grâce, j'ai besoin de leurs grâces: grâce de baptême, grâce de mariage, grâce de… Rien de ce que je veux faire pour eux ne pourra se faire sans eux. Pour cela, aller à la rencontre de ce que leur grâce de baptême leur a dit de la vie, de la vie en Dieu, de la vie de Dieu et écouter. Pour cela, aller à la rencontre de ce que leur grâce de mariage leur a dit de la vie à deux, de la vie en Dieu, de la vie de Dieu et écouter. Pour cela, aller à la rencontre de leurs désirs profonds et écouter la trace de Dieu inscrite en ces désirs. Pour cela, aller à la rencontre de leurs angoisses, de leurs souffrances et écouter l'angoisse et la souffrance du Christ. Pour cela, aller à la rencontre de leurs doutes et écouter le Christ en Croix: « Père, pourquoi m'as-Tu abandonné ? » Écouter leur plongée dans la foi, écouter la nuptialité de leur oui, écouter la légèreté merveilleuse du désir de Dieu en eux, écouter les ténèbres qui peuvent mener au doute. Oui, écouter et être confronté comme eux et par eux à mon être de foi, à mon être de don, à mon être de désir, à mon être souffrant, à mon être de doute. Confrontation essentielle pour découvrir, pour affirmer mon identité profonde de baptisé, de consacré. Bref, pour me découvrir toujours plus en vérité. C'est le mystère de l'incarnation: la Sienne qui donne sens à la mienne et la mienne qui veut, par Son appel, aider à donner sens à la leur. Merveilleux échange de vie.

Exigences spirituelles pour y arriver dans l'exercice du ministère presbytéral

Mais pour arriver ne serait-ce qu'un tant soit peu à cet échange, il faut plus encore. Il faut une union, une communion avec la Source de notre vie. Cela demande du temps, cela demande de la persévérance, de la confiance, de l'amour. Prendre le temps, accepter de perdre notre temps pour entrer dans le temps de Dieu. Dès lors, il faut accepter d'aller à contre-courant de notre monde. Il faut accepter l'absence apparente de résultats, de fruits. Il faut refuser d'entrer dans une dynamique de productivité à tout prix. Se donner du temps pour être avec Lui. Par l'oraison, par la méditation de la Parole, par l'adoration, par un bon temps de préparation à l'eucharistie, par la prière du chapelet où Marie nous rapproche toujours plus de son fils. Autant de moyens pour emplir notre cœur de Sa présence, pour brûler de son Esprit, bref, pour apprendre à devenir des images vivantes du Christ pour notre monde qui en a tant besoin. Car comment dire Dieu au monde si je ne Le laisse pas se dire à moi? Comment donner Dieu au monde si je ne L'accueille pas moi-même? Comment Le faire connaître et le faire aimer si je ne me donne pas du temps pour toujours mieux Le connaître, pour mieux L'aimer? Découvrir que ce temps donné à Dieu est vraiment un temps donné à nos frères et sœurs. Car le cœur de Dieu se découvre à genoux et c'est à genoux que l'on apprend Sa sagesse, Son amour, sa miséricorde. Sa miséricorde: je dois toujours m'y replonger si je veux la comprendre, la donner, l'être. Aussi, le sacrement du pardon est pour moi essentiel à la vie du prêtre sinon il y a danger que son cœur s'endurcisse. Voilà autant d'éléments qui contribuent à la construction de mon identité spirituelle, mais aussi à la construction de mon identité de futur prêtre. Car il n'y a pas de plus grand drame pour la construction du Royaume qu'un pasteur qui ne sait pas ce qu'il est.

Conclusion

Voilà l'essentiel de mon identité spirituelle, l'essentiel de ce qui fait vivre déjà l'être pasteur en moi. Cela se confirme par le regard et l'approche que les gens ont avec moi. Il y a, en moi, quelque chose qui est changé (cela est d'autant plus vrai depuis mon ordination diaconale). Plus encore, il serait juste de dire qu'il y a Quelqu'un qui vit en moi de plus en plus et qui interroge ceux que je rencontre, que ce soit ma famille, mes amis ou toute autre personne. Moi-même, mon regard sur les gens, sur les évènements est plus porteur d'espérance, plus porteur de foi, plus porteur d'amour. Et le fait d'être diacre a comme déposé en moi une attitude de joie à servir de toutes les façons possibles. La loi du don crie de plus en plus en moi. Elle m'appelle à la confiance et à l'audace. Mais cette confiance et cette audace, pour s'actuer et grandir, ont besoin de se tourner continuellement vers Celui qui en est la source. Se tourner vers Lui pour entrer en Lui et, par Lui, entrer d'avance dans le cœur de ceux vers qui Dieu m'enverra. Voilà le trait d'âme essentiel pour le ministère presbytéral d'aujourd'hui et de tout temps: être tout à Lui, tout en Lui, tout par Lui pour être pour eux celui qu'ils désirent: l'image vivante du Christ-Pasteur. Être saint car moins que cela, ça ne vaut pas la peine. Être saint pour eux, avec eux et par eux. Être saint pour la plus grande gloire de Dieu et le salut du monde.



Lundi 22 Mars 2010
Yves Fournier
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