François de Laval enseignant aux enfants
Je me suis laissé inspiré pour cette fête de notre fondateur, saint François de Laval, par cette phrase que vous retrouvez au dos du feuillet de notre célébration : « Il y a longtemps que Dieu me fait la grâce de regarder tout ce qui m'arrive en cette vie comme un effet de sa providence. » ( Lettre au Père de La Chaize, mai 1687 Altera Nova Positio p. 407)
François de Laval écrit cette phrase en 1687 après avoir remis sa démission comme évêque et demandé au Roi de revenir en Nouvelle-France. Son retour ne sera pas accepté alors par le Roi. Ce ne sera que l’année suivante que François de Laval obtiendra enfin la permission de venir finir ses jours dans son Église.
Cet épisode aux multiples rebondissements marque un passage spirituel révélateur dans la vie de François de Laval. Il éclaire son parcours spirituel d’une façon nouvelle. Regardons-y de plus près.
I- Le cheminement spirituel
Le cheminement spirituel a été souvent décrit en référence à des étapes ou des passages vécus dans la pratique de l’oraison comme chez Thérèse d’Avila ou dans les purifications intérieures comme chez Jean de la Croix. On a dit et répété que la mystique n’était pas pour les gens lancés dans l’apostolat ou la pastorale. À tout le moins, on l’a laissé entendre.
Cette vision de la mystique décrochée de l’action et de l’apostolat est en partie responsable d’une image de François de Laval où il est vu comme un bon pasteur certes, mais non pas comme un mystique. Les élans et les descriptions de sa contemporaine Marie de l’Incarnation lui faisant défaut, on a reconnu sa sainteté certes, mais on a oublié la flamme qui l’habitait.
Cette flamme allumée dans sa jeunesse chez les jésuites ne s’est jamais éteinte. Elle l’a accompagnée tout au cours de sa vie, et à 64 ans, elle rencontre un obstacle majeur, la volonté du Roi de le garder en France. Les réactions de François de Laval dans ce deuil qui lui est demandé font partie des plus beaux textes que nous avons de lui.
II- Les purifications apostoliques
Que nous apprennent ces textes que nous ne savions déjà?
Ils nous éclairent sur la profondeur du passage de ce que Jean de la Croix appelle la « Nuit de la foi », non plus chez la personne contemplative, mais telle qu’elle se présente dans la vie d’un pasteur, d’une personne engagée dans le ministère et la vie apostolique. Le parcours d’un pasteur, à travers les évènements et les circonstances qu’il rencontre sur le terrain de la mission l’invitent continuellement à se détacher de ses vues et de ses projets pour s’ajuster dans la foi à ceux de Dieu.
Ce faisant, il est amené à vivre de profondes purifications, des nuits et des deuils. Le pasteur devient, sans le savoir bien souvent, un « mystique actif », un « mystique paulinien », pourrait-on dire en pensant à l’Apôtre des Gentils qui répétait ; « Malheur à moi si je n'annonçais pas l'Évangile » (1 Co 9,16).
Hé bien! François de Laval, à 64 ans, après 29 ans d’épiscopat vit un abandon mystique au-delà d’une simple obéissance à son Roi. Il laisse Dieu conduire. Il lâche prise. Il s’en remet totalement à la volonté divine. Son union d’amour avec le Dieu vivant se concrétise dans sa chair et dans son cœur. L’abandon à Dieu en est l’expression concrète.
III- Un abandon mystique
Cet abandon le caractérisera jusqu’à sa mort. En effet, revenu en Nouvelle-France il verra son Séminaire incendié par deux fois, il connaîtra une cohabitation difficile et tourmentée avec son successeur, il expérimentera la maladie sous diverses formes. Et pourtant l’abandon du pasteur ne se dément pas. François de Laval est entré, au cours de ces années 1687-1688 en France, dans les dernières Demeures, dirait Thérèse d’Avila.
Dans une lettre aux prêtres du Séminaire le 9 juin 1687, François de Laval écrit : :
Il est bien juste [...] que nous demeurions perdus à nous-mêmes et que nous ne vivions que de la vie du pur abandon en tout ce qui nous regarde au dedans comme au dehors.» ( Lettre aux prêtres du Séminaire de Québec, le 9 juin 1687 Altera Nova Positio p. 441) Cette lettre remarquable mériterait d'être citée plus longuement, si j'en avais le temps, (Note: Voir plus bas l'extrait complet d'où est tirée la citation.)
L’image du pasteur totalement dévoué à ses brebis, détaché de tout pour être avec elles et pour les servir sans penser à lui-même s’applique admirablement à François de Laval qui nous le montre avec éclat dans les circonstances que nous avons rappelées au moment de sa démission comme évêque de Québec. Cette charité pastorale s’est transformée en amour sponsal selon l'expression employée par Jean-Paul II dans l'Exhortation apostolique Je vous donnerai des pasteurs (numéro 23). François de Laval est devenu, dans son cœur et dans sa chair, l’époux de son Église. Son union à Dieu passe par son lien avec ses brebis, avec son peuple.
Oui, le cheminement spirituel de François de Laval dessine le parcours d’un pasteur mystique transformé par son ministère et porté par lui aux sommets de la vie mystique, au sommet de la montage où l’attend le banquet éternel aux côtés de Celui qui est l'unique Pasteur, Jésus, le Serviteur par excellence, toujours vivant pour le salut du monde.
Conclusion
Chers frères et sœurs, que cette célébration, où nous refaisons les gestes de Celui qui s’est abandonné jusqu’au bout à la volonté de salut du Père des miséricordes, du Bon Pasteur qui a donné sa vie pour ses brebis, vienne nous rendre de plus en plus disponibles aux signes de sa volonté et nous rendre capables de l’accomplir pour sa plus grande gloire.
Amen!
Mgr Hermann Giguère P.H.
Supérieur général du Séminaire de Québec
le 6 mai 2009
François de Laval écrit cette phrase en 1687 après avoir remis sa démission comme évêque et demandé au Roi de revenir en Nouvelle-France. Son retour ne sera pas accepté alors par le Roi. Ce ne sera que l’année suivante que François de Laval obtiendra enfin la permission de venir finir ses jours dans son Église.
Cet épisode aux multiples rebondissements marque un passage spirituel révélateur dans la vie de François de Laval. Il éclaire son parcours spirituel d’une façon nouvelle. Regardons-y de plus près.
I- Le cheminement spirituel
Le cheminement spirituel a été souvent décrit en référence à des étapes ou des passages vécus dans la pratique de l’oraison comme chez Thérèse d’Avila ou dans les purifications intérieures comme chez Jean de la Croix. On a dit et répété que la mystique n’était pas pour les gens lancés dans l’apostolat ou la pastorale. À tout le moins, on l’a laissé entendre.
Cette vision de la mystique décrochée de l’action et de l’apostolat est en partie responsable d’une image de François de Laval où il est vu comme un bon pasteur certes, mais non pas comme un mystique. Les élans et les descriptions de sa contemporaine Marie de l’Incarnation lui faisant défaut, on a reconnu sa sainteté certes, mais on a oublié la flamme qui l’habitait.
Cette flamme allumée dans sa jeunesse chez les jésuites ne s’est jamais éteinte. Elle l’a accompagnée tout au cours de sa vie, et à 64 ans, elle rencontre un obstacle majeur, la volonté du Roi de le garder en France. Les réactions de François de Laval dans ce deuil qui lui est demandé font partie des plus beaux textes que nous avons de lui.
II- Les purifications apostoliques
Que nous apprennent ces textes que nous ne savions déjà?
Ils nous éclairent sur la profondeur du passage de ce que Jean de la Croix appelle la « Nuit de la foi », non plus chez la personne contemplative, mais telle qu’elle se présente dans la vie d’un pasteur, d’une personne engagée dans le ministère et la vie apostolique. Le parcours d’un pasteur, à travers les évènements et les circonstances qu’il rencontre sur le terrain de la mission l’invitent continuellement à se détacher de ses vues et de ses projets pour s’ajuster dans la foi à ceux de Dieu.
Ce faisant, il est amené à vivre de profondes purifications, des nuits et des deuils. Le pasteur devient, sans le savoir bien souvent, un « mystique actif », un « mystique paulinien », pourrait-on dire en pensant à l’Apôtre des Gentils qui répétait ; « Malheur à moi si je n'annonçais pas l'Évangile » (1 Co 9,16).
Hé bien! François de Laval, à 64 ans, après 29 ans d’épiscopat vit un abandon mystique au-delà d’une simple obéissance à son Roi. Il laisse Dieu conduire. Il lâche prise. Il s’en remet totalement à la volonté divine. Son union d’amour avec le Dieu vivant se concrétise dans sa chair et dans son cœur. L’abandon à Dieu en est l’expression concrète.
III- Un abandon mystique
Cet abandon le caractérisera jusqu’à sa mort. En effet, revenu en Nouvelle-France il verra son Séminaire incendié par deux fois, il connaîtra une cohabitation difficile et tourmentée avec son successeur, il expérimentera la maladie sous diverses formes. Et pourtant l’abandon du pasteur ne se dément pas. François de Laval est entré, au cours de ces années 1687-1688 en France, dans les dernières Demeures, dirait Thérèse d’Avila.
Dans une lettre aux prêtres du Séminaire le 9 juin 1687, François de Laval écrit : :
Il est bien juste [...] que nous demeurions perdus à nous-mêmes et que nous ne vivions que de la vie du pur abandon en tout ce qui nous regarde au dedans comme au dehors.» ( Lettre aux prêtres du Séminaire de Québec, le 9 juin 1687 Altera Nova Positio p. 441) Cette lettre remarquable mériterait d'être citée plus longuement, si j'en avais le temps, (Note: Voir plus bas l'extrait complet d'où est tirée la citation.)
L’image du pasteur totalement dévoué à ses brebis, détaché de tout pour être avec elles et pour les servir sans penser à lui-même s’applique admirablement à François de Laval qui nous le montre avec éclat dans les circonstances que nous avons rappelées au moment de sa démission comme évêque de Québec. Cette charité pastorale s’est transformée en amour sponsal selon l'expression employée par Jean-Paul II dans l'Exhortation apostolique Je vous donnerai des pasteurs (numéro 23). François de Laval est devenu, dans son cœur et dans sa chair, l’époux de son Église. Son union à Dieu passe par son lien avec ses brebis, avec son peuple.
Oui, le cheminement spirituel de François de Laval dessine le parcours d’un pasteur mystique transformé par son ministère et porté par lui aux sommets de la vie mystique, au sommet de la montage où l’attend le banquet éternel aux côtés de Celui qui est l'unique Pasteur, Jésus, le Serviteur par excellence, toujours vivant pour le salut du monde.
Conclusion
Chers frères et sœurs, que cette célébration, où nous refaisons les gestes de Celui qui s’est abandonné jusqu’au bout à la volonté de salut du Père des miséricordes, du Bon Pasteur qui a donné sa vie pour ses brebis, vienne nous rendre de plus en plus disponibles aux signes de sa volonté et nous rendre capables de l’accomplir pour sa plus grande gloire.
Amen!
Mgr Hermann Giguère P.H.
Supérieur général du Séminaire de Québec
le 6 mai 2009
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« Mais comme la bonté de Notre-Seigneur ne rejette point un coeur contrit et humilié, et que ‘humiliat et sublevat’, il me fit connaitre que c'était la plus grande grâce qu'il me pouvait faire que de me donner part aux états qu'il a voulu porter en sa vie et en sa mort pour notre amour, en action de grâces de laquelle je dis un Te Deum avec un coeur rempli de joie et de consolation au fond de l'âme, car pour la partie inférieure, elle est laissée dans l'amertume qu'elle doit porter. C'est une blessure et une plaie qui sera difficile à guérir et qui apparemment durera jusqu'à la mort, à moins qu'il ne plaise à la divine Providence, qui dispose des coeurs comme lui plaît, apporter quelque changement à l'état des affaires. Ce sera quand il lui plaira et comme il lui plaira, sans que les créatures puissent s'y opposer. n'étant en pouvoir de faire que ce qu'elle leur permettra. Il est . bien juste cependant que nous demeurions perdus à nous-mêmes et que nous ne vivions que de la vie du pur abandon en tout ce qui nous regarde au dedans comme au dehors.» ( Lettre aux prêtres du Séminaire de Québec, le 9 juin 1687 Altera Nova Positio p. 441).
« Mais comme la bonté de Notre-Seigneur ne rejette point un coeur contrit et humilié, et que ‘humiliat et sublevat’, il me fit connaitre que c'était la plus grande grâce qu'il me pouvait faire que de me donner part aux états qu'il a voulu porter en sa vie et en sa mort pour notre amour, en action de grâces de laquelle je dis un Te Deum avec un coeur rempli de joie et de consolation au fond de l'âme, car pour la partie inférieure, elle est laissée dans l'amertume qu'elle doit porter. C'est une blessure et une plaie qui sera difficile à guérir et qui apparemment durera jusqu'à la mort, à moins qu'il ne plaise à la divine Providence, qui dispose des coeurs comme lui plaît, apporter quelque changement à l'état des affaires. Ce sera quand il lui plaira et comme il lui plaira, sans que les créatures puissent s'y opposer. n'étant en pouvoir de faire que ce qu'elle leur permettra. Il est . bien juste cependant que nous demeurions perdus à nous-mêmes et que nous ne vivions que de la vie du pur abandon en tout ce qui nous regarde au dedans comme au dehors.» ( Lettre aux prêtres du Séminaire de Québec, le 9 juin 1687 Altera Nova Positio p. 441).