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Les diacres, témoins du service

Conférence de Mgr Maurice Couture, archevêque émérite de Québec, aux diacres permanents de l'Archidiocèse de Québec lors de l'échange de voeux pour la nouvelle année. Version PDF



Photo de Mgr Maurice Couture, archevêque émérite de Québec
Photo de Mgr Maurice Couture, archevêque émérite de Québec
J’envie la chance qu’ont les diacres d’être désignés par un terme qui les caractérise si bien. Comme vous savez, diacres vient du mot grec diaconeiv, qui signifie servir. Les prêtres doivent s’accommoder de l’étymologie grecque presbyteroi qui veut dire anciens. Les évêques ne sont guère mieux partagés. Le mot episcopoi signifie surveillants. Plus littéralement, episcopein veut dire regarder de haut. Pas de quoi donner une belle image à l’évêque!

Mais la beauté du diaconat n’est pas que sémantique. Elle est surtout évangélique. Si vous relevez dans la Bible et dans les textes conciliaires et pontificaux les références au Messie serviteur, au Christ serviteur et à l’Église servante, vous en avez pour noircir quelques pages. Sans être exhaustif, je ne puis traiter mon sujet sans m’appuyer sur la Parole de Dieu et le Magistère.

On se souvient du serviteur du premier chant du 1e livre d’Isaïe. Jésus va lui-même s’identifier à ce personnage figuratif du Messie (Luc 4, 18-19), lorsqu’il est appelé à faire la lecture du fameux passage du prophète :
«L’esprit du Seigneur est sur moi…» Jésus dira : «Aujourd’hui s’accomplit à vos oreilles ce passage de l’Écriture».

Il insistera à plusieurs reprises sur son rôle de serviteur, se refusant à reconnaître sa royauté, sinon alors qu’il est devenu le serviteur souffrant d’Isaïe Il répétera : «Je suis venu pour servir et non pour être servi». (Mt 20, 28).«Je suis au milieu de vous comme celui qui sert». (Lc 22,27) «Le maître se ceindra, les fera mettre à table et, passant de l’un à l’autre, il les servira».
Ses actes iront plus loin que ses paroles, puisqu’il posera envers ses
disciples le geste des esclaves envers leurs maîtres : le lavement des pieds. Et il demandera à ses disciples d’en faire autant les uns envers les autres (Jn 13,15).

C’est dire que Jésus a reconnu expressément son action comme une diaconie et en a recommandé non moins expressément l’exercice à ses disciples.

Il n’est donc pas étonnant que la spiritualité du service soit devenue la spiritualité de toute l’Église, en tant que toute l’Église (Directoire du diaconat permanent). Comme Marie, mère de l’Église, s’est dite la «servante du Seigneur» (Luc 1, 28), l’Église est au service du salut du monde. Le Concile Vatican II a rappelé à une Église, plus habituée à un certain style triomphant, son rôle de servante. C’est impressionnant de parcourir, ne serait-ce que dans la table analytique des textes conciliaires (éditions du centurion),les nombreuses références à cette dimension essentielle de l’Église servante : des références qui s’étendent sur une page entière et concernent nommément toutes les catégories de baptisés : les pasteurs (10), les prêtres (23), les diacres (évidemment) (3), les séminaristes (3), les religieux (7), les missionnaires (1), les chrétiens et chrétiennes (14), les associations catholiques (1). Cette seule énumération permet de conclure que, vraiment, toute l’Église est servante.

Les chiffres révèlent que les ministres ordonnés sont particulièrement invités à exercer leur mission dans un esprit de service. Là encore, le sens même de leur titre le commande : ministre vient du latin minister, qui signifie justement serviteur. On n’y échappe pas, vraiment!

Il n’y a donc pas que les diacres qui doivent servir dans l’Église. Tous les chrétiens, toutes les chrétiennes sont au service les uns des autres. De même, les conseils évangéliques s’adressent à tous les disciples de Jésus, mais les religieux et les religieuses en font profession, sous une forme radicale. La chasteté religieuse n’est pas nécessairement plus méritante devant Dieu, pas toujours plus difficile que la chasteté conjugale, pas plus méritante et probablement plus facile que le célibat laïque, mais il appartient aux personnes consacrées d’être les témoins du radicalisme évangélique. De même pour les vœux de pauvreté et d’obéissance. L’expérience humaine démontre que le pouvoir et l’argent exercent un empire considérable sur les comportements humains. C’est la mission des religieux et des religieuses de témoigner que les dérives en la matière sont surmontables, puisqu’ils en surmontent même les attraits légitimes.

De plus, les personnes consacrées prononcent leurs veux dans un institut dont les statuts ont été reconnus par l’Église. Leur charisme communautaire les met au service d’une portion déterminée du peuple de Dieu.

Tout cela se retrouve sous une autre forme dans le diaconat. Le diacre personnifie le service vécu par le Christ. Il le partage à un titre particulier avec les autres ministres ordonnés, diacres eux aussi. Mais ils incarnent comme l’essence du service à l’état pur. Ils sont comme la conscience du peuple de Dieu, à un titre spécial des prêtres et des évêques, et d’une façon plus large pour tous les baptisés qui jouissent du sacerdoce des fidèles, prêtres, prophètes et rois. Chacun de ces titres dont vous gratifiez généreusement les enfants que vous baptisez comporte une dimension de service. Comme prophète, le chrétien, la chrétienne doit dispenser la parole de Dieu, témoigner de l’Évangile en paroles et en actes. Comme prêtre, il (elle) est appelé(e) à contribuer à la sanctification de son prochaine en diffusant les valeurs évangéliques. Comme roi à la manière de Jésus, il (elle) ne cherche pas à être servi(e), mais à servir. S’il est un ministère où le diacre est appelé à se nourrir des mystères qu’il célèbre, c’est bien le ministère du baptême qui offre de plus en plus un lieu de nouvelle évangélisation.

Le bienheureux Jean-Paul II, quelques mois avant de mourir (24 janvier 2004), soulignait la pertinence missionnaire du ministère diaconal :

«J’apprécie la mission que les diacres remplissent car il sont parfois au contact de milieux très éloignés de l’Église. Ils sont reconnus en raison de leurs compétences professionnelles et de leur proximité fraternelle avec les personnes et la culture dans laquelle elles sont immergées. Ils présentent un visage caractéristique de l’Église qui aime être proche des gens et de leur réalité quotidienne».

Ces propos décrivent bien le ministère diaconal à la fois dans sa mission (serviteurs de l’Évangile), dans son lieu de mission (milieux éloignés de l’Église) et dans son style d’interventions (compétence professionnelle et proximité familiale). (Cf Le diaconat permanent, AECQ, Fides, 2000)
Devant le cumul des tâches par les prêtres et l’implication grandissante des laïcs dans la vie de nos communautés chrétiennes, on peut se demander s’il est possible d’asseoir une conception juste du diaconat permanent à partir de fonctions vraiment spécifiques. Il en est résulté un certain flou dans le rétablissement du diaconat permanent et, ici et là, un malaise dans les rangs des diacres eux-mêmes. Il n’y a pas lieu de s’étonner qu’une fonction ecclésiale disparue depuis plusieurs siècles et substituée successivement par les prêtres, les religieux et les laïcs engagés connaisse certaines difficultés à se rétablir. Raison de plus pour définir le diacre par son être autant que par le type de service. C’est l’affirmation du Comité des ministères de l’Assemblée des évêques du Québec (ouvrage cité). En définitive, c’est autant par ce qu’il est que par ce qu’il fait que le diacre trouve sa spécificité dans l’ensemble des ministères (25).

Avant nos évêques, le théologien Roch Pagé estimait que «c’est du côté de l’être qu’il faut chercher la spécifité du diaconat, et non pas du faire. C’est ce qu’ils sont qui fait l’originalité de ce qu’ils font».

Le diaconat est le sacrement du service dans le peuple de Dieu; le diacre est le signe sacramentel de ce que les membres de la communauté doivent être les uns pour les autres, comme le couple marié est le signe de l’amour du Christ pour son Église. Il est un rappel constant, permanent, autant pour les évêques et les prêtres que pour les autres fidèles, qu’ils sont serviteurs les uns des autres comme le Christ le fut pour les siens et, à travers eux, pour l’humanité.

Appelés à signifier la dimension diaconale de l’Église toute entière, il accomplit des services divers dans l’Église et dans le monde, sans s’identifier avec aucune. Les trois pôles vers lesquels converge sa mission, à savoir la charité, la parole et la liturgie, deviennent des lieux de signification de ce que tous font ou devraient faire, et non pas strictement, surtout pas exclusivement, les lieux de l’action spécifique du diacre.

C’est pourquoi ces trois lieux sont identifiés tous trois sous le vocable des services : le service de la parole, le service de la liturgie, le service de la charité.

Dès lors, on pourrait penser que la disposition principale qui sied au diacre serait le dévouement, le don entier de soi-même. Tout service, bien sûr, exige qu’on s’investisse, qu’on y mette tout son cœur. Mais la vertu dominante du serviteur du Christ qui lave les pieds de ses disciples, qui «s’est abaissé jusqu’à la mort sur une croix», selon les mots de Paul aux Philipiens, c’est l’humilité qui colore le service diaconal, quelle qu’en soit la forme.

Permettez que j’en décrive quelques implications concrètes et que j’interpelle vos motivations comme les miennes d’ailleurs. Je nous interroge :

1- Quel est le type de service que je privilégie comme spontanément?

Quelle hiérarchie j’établis comme instinctivement dans mon service ministériel, lorsqu’il s’agit de répartir le temps dont je dispose pour la communauté, de discerner les engagements, de mettre de l’énergie? Il est évident que le service le moins attrayant – parce qu’il concerne ceux et celles que l’on est moins porté à servir – c’est celui de la Charité;! C’est moins gratifiant que le service de la Parole ou celui de la liturgie, mais, tout compte fait, c’est là que le service est le plus «service»!

Deux questions :

a) Lorsque je m’adonne au service de la Parole ou de la Liturgie
suis-je mu par un véritable désir de servir, non de me faire dire que je suis meilleur que le curé, qu’on devrait bien me faire prêcher plus souvent…

b) Si je réclame qu’on respecte la place du diacre, suis-je motivé par le bien de l’Église, ou par mon désir d’être considéré?

2- Quelles sont les personnes que je suis porté à servir?

Mère Teresa demande aux membres de sa communauté, non
seulement d’aller aux plus pauvres, mais d’aller aux plus pauvres parmi les pauvres! Quel que soit le service qu’il rend à la communauté chrétienne, le diacre permanent ne doit-il pas être le serviteur de ceux et celles que l’on ne sert pas, et de signaler par là même la présence de ceux et celles qui n’ont pas «droit au chapitre»?

a) Service de la Charité

Quels gens sont mes «privilégiés», mes «enfants gâtés»? Quelles sont les personnes vers lesquelles je vais spontanément, qui retiennent mon attention, qui m’attirent spontanément, pour qui et avec qui je travaille spontanément, que j’ai hâte de rencontrer, dont la vie concrète m’intéresse? Quelles sont les besognes qui me rendent heureux : celles qui paraissent, ou celles qui passent inaperçues et dont on ne parle point?

b) Service de la parole

Quelles sont les personnes qui me préoccupent, me hantent, m’habitent lorsque je songe à ce ministère? Celles au nom de qui je me propose de «parler» dans l’Église? Celles à qui je suis désireux de porter la Parole de Dieu? Quels sont les lieux qui, lorsque j’envisage ce ministère, ont comme spontanément ma préférence : la grande communauté chrétienne rassemblée en célébration dominicale,… ou un bien humble et discret foyer pour personnes âgées, des couples que je prépare au baptême ou au mariage?

c) Service de la Liturgie

Quel service m’attire lors d’une célébration eucharistique : une place remarquable ou l’accueil des plus humbles fidèles qui viennent célébrer? Être présent pour distribuer la communion à ceux et celles qui sont là, dans l’église, avec toute la communauté, c’est bien; être ailleurs pur assurer la communion à ceux et celles qui ne peuvent pas venir célébrer avec les autres, c’est peut-être mieux parfois.

3- Quelle est la manière dont je conçois mon service?

Comme un droit que je possède,… ou comme un service qu’on me demande? Suis-je offensé de ce que l’on ne me demande pas régulièrement d’assurer la prédication, d’être responsable de tel comité?

4- Quel est mon sentiment par rapport aux autres?

a) L’appel au ministère diaconal ou la vocation n’implique aucune supériorité dans l’ordre de la grâce ou dans l’ordre de la nature. Quelqu’un n’est pas appelé à recevoir ce ministère parce qu’il serait «saint» ou plus généreux que les autres, mais parce que l’évêque a discerné en lui certains charismes nécessaires à l’exercice de ce ministère. Quelqu’un n’est pas «choisi» parce qu’il est «plus» généreux que d’autres, mais parce qu’il se perçoit intimement comme ne pouvant «être» généreux autrement qu’en exerçant ce service dans l’Église et que l’évêque reconnaît cette aspiration et les aptitudes à la réaliser.

b) Si l’ordination sacramentelle conférait une supériorité dans l’ordre de la grâce, pourquoi en priver l’épouse du diacre, et tant d’autres personnes dans l’Église? «Les plus grands dans le Royaume, ce ne sont pas les ministres, mais les saints»! L’ordination signifie simplement que dans l’Église, le service lui-même est un don de Dieu! Ça ne prend rien de moins que le don de Dieu pour servir adéquatement le «saint« Peuple de Dieu, et pour dresser fidèlement la «Table du Pauvre», ce Seigneur dépossédé. Cela est important à rappeler si l’on ne veut pas que les ordinations aient l’air de célébrer un serviteur au lieu de célébrer le Serviteur et le service comme tel, et tous ceux et celles qui servent dans l’Église!

d) Tout cela est important à rappeler si l’on ne veut pas que les diacres permanents se comportent concrètement – et parlent d’eux-mêmes et de leur ministère – comme s’ils avaient le monopole du service dans l’Église! Ils ne sont là que pour signifier le service du Christ, et pour rappeler à tous les membres de la communauté chrétienne de se tenir «en tenue de service»! Sinon, il y a prétention intolérable et presque du «mépris» pour tous ceux et celles qui, sans que cela soit reconnu et célébré, servent bien humblement et quotidiennement leurs frères et sœurs!

e) Le goût, l’inclination, la tendance à servir, et à servir les humbles : c’est à travers cela que le Seigneur fait signe diaconal dans l’Église, Lui qui «n’est pas venu pour être servi, mais pour servir». L’Imitation de Jésus Christ contient des pages admirables concernant l’humilité. Il serait bon parfois que les diacres permanents – et tous les ministres ordonnés d’ailleurs – lisent ou/et relisent cette phrase bien connue : «Voulez-vous apprendre et savoir quelque chose qui vous serve : aimez à vivre inconnu et à n’être compté pour rien» (L.I., c. II, #3). Non seulement «vivre inconnu», mais «être compté pour rien, et bien plus : «aimer cela»! Il ne s’agit pas de transformer le diacre en valet, mais de lui donner toute sa dignité de «serviteur»!

Conclusion

Mes propos ne visent pas à faire rentrer les diacres dans le rang, mais à les convaincre que l’attitude humble de service est celle qui accréditera le diaconat permanent, une institution qui doit faire son chemin à nouveau, et contribuer à bâtir sa crédibilité. Car, ne l’oublions pas, le diaconat permanent est une institution à la fois très ancienne et très jeune. C’est ce qui en fait une institution fragile en même temps qu’un ministère porteur de dynamisme et de fraîcheur. L’Église de Québec peut se dire heureuse de pourvoir en bénéficier.

+Maurice Couture, S.V.
Archevêque émérite de Québec

7 janvier 2012


Les diacres, témoins du service

Jeudi 26 Janvier 2012
Mgr Maurice Couture
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