Plan
Introduction
1.0 Un enracinement profond
1.1 Le Père de Rhodes et le Vietnam
1.2 Témoignages pour l’enquête canonique de choix à l’épiscopat
2.0 L’horizon ou l’inspiration de l’action missionnaire de François de Laval
2.2.1 L’ouverture aux cultures héritée des missionnaires jésuites
2.2.2 Un appui aux « nouveaux chrétiens »
3.0 L’action ou les réalisations missionnaires de François de Laval
3.1 Une préoccupation toujours présente
3.2 La proximité avec les amérindiens
3.2.1 Hariaouagui
3.2.2 La visite pastorale à Tadoussac
3.2.3 La querelle de l’eau-de-vie
3.3 Les missions du Mississipi
4.0 Un texte révélateur : les conseils aux missionnaires
4.1 Le contexte
4.2 Méditation
Conclusion
Le 3 décembre 2007
Introduction
Je
suis heureux et honoré de l’invitation que m’a faite votre Supérieur général,
l’abbé Roland Laneuville de venir vous parler du bienheureux François de Laval,
premier évêque de Québec et fondateur du Séminaire de Québec, à l’occasion de
votre fête patronale en la saint François Xavier. Lorsqu’on m’a rejoint, on m’a
proposé de vous entretenir de François de Laval, missionnaire, ce qui est tout
à fait indiqué pour des membres de sociétés missionnaires comme les prêtres des
Missions-Étrangères et les sœurs de l’Immaculée-Conception, je me suis dit quel
immense sujet à investiguer et à
parcourir. De quelle façon l’aborder ? J’ai passé une partie de l’été à y
réfléchir, puis à mesure qu’avançaient mes lectures, une chose devenait de plus en plus claire.
Poursuivant dans la ligne de mes recherches antérieures sur l’itinéraire
spirituel de François de Laval, j’ai été fasciné par l’âme missionnaire de
François. C’est pourquoi, j’ai choisi d’intituler mon exposé « Le souffle
missionnaire de François de Laval ».
En effet, il ressort de ma fréquentation du jeune
évêque de trente-six ans qui arrivait à Québec le 16 juin 1659 qu’il portait
déjà à cette époque non seulement un désir missionnaire, mais qu’il avait
intériorisé une approche particulière partagée avec ses jeunes confrères et
avec des missionnaires chevronnés. Tout au cours de sa vie, par la suite, il
est resté fidèle à cet esprit des débuts. Le pasteur d’une nouvelle Église n’a
jamais mis de côté la préoccupation missionnaire et l’évangélisation « ad
extra ».
Nous verrons donc quatre points qui esquissent le
portrait du missionnaire François de Laval. En premier lieu son enracinement
dans le temps, en second lieu le ton de son action missionnaire, en troisième
lieu les réalisations sur le terrain puis en quatrième lieu un texte des plus
révélateurs : les conseils aux missionnaires.
1.0 Un enracinement profond
Au cours de son quatrième voyage en France, François de Laval célèbre en
février 1686 une messe de funérailles pour son ami François Pallu mort d’une
congestion qui l’avait suffoqué le 29
octobre 1684 à Mo-Yang au Vietnam. Il l’a fait, écrit-il, avec émotion et piété
dans une lettre en date du 15 février 1686 adressée à l’abbé de Saint-Vallier,
alors vicaire général, en visite en Nouvelle-France. « Vous voyez par tous
ces changements, écrit-il, comme la
divine Providence dispose tout autrement des choses que nous proposons; elle
est néanmoins toujours aimable, et il fait bien bon de s'y laisser
conduire. » [1]
Le lien personnel de François de Laval et de François Pallu remontait au tout
début de leur ministère sacerdotal. Les deux amis avaient été choisis
comme évêques missionnaires, vicaires
apostoliques au Sud-Est asiatique en 1653. C’est une histoire qu’il vaut la
peine de raconter pour mettre en lumière l’enracinement existentiel du souffle
missionnaire qui animera François de Laval toute sa vie.
1.1 Une rencontre inoubliable et fondatrice
Paris en 1653 vit des heures palpitantes. Les
milieux du renouveau catholique bouillonnent de projets et de fondations. Les
milieux parisiens entraînent dans leur élan de nombreux jeunes hommes qui à
l’initiative des jésuites se regroupent dans des associations qu’on dénomme les
Bons Amis ou Assemblées des amis. François de Laval et François Pallu en font
partie. Le premier depuis ses études au Collège de Laflèche et à celui de
Clermont à Paris. Ordonné prêtre depuis 1647, il a dû s’occuper de la
seigneurie familiale à cause de la mort de son frère aîné. Son activité
pastorale toutefois ne s’est pas arrêtée. Dans le diocèse d’Évreux, il a
coordonné la pastorale de 155 paroisses comme « archidiacre » [2]. Il
continue de fréquenter ses amis. Un jour à Paris[3], il
entend un missionnaire jésuite revenu depuis peu en France, le père Alexandre
de Rhodes. Il en est bouleversé comme tous ceux qui l’approchent.
Qui est ce Père de Rhodes?
Vous le connaissez sûrement, puisqu’il a marqué profondément l’histoire des missions.
En 1653, le père Alexandre
de Rhodes, infatigable missionnaire qui a obtenu d’estimables succès au Tonkin,
publie l’« Histoire du royaume de Tonkin et des grands progrès que la
prédication de l’Évangile y a faits depuis l’année 1627 jusques à l’année 1646.
» Cet ouvrage avance notamment l’idée que, pour éviter les fréquentes et
parfois sanglantes réactions de rejet et de xénophobie, l’évangélisation des
populations indigènes ne peut être menée à bien que grâce à la création de
clergés autochtones, l’ordination de prêtres du cru, en un mot, de l’intérieur.
Il préconise à cet effet l’envoi d’évêques chargés sur place d’ordonner ces
prêtres. Le retentissement du livre du père Alexandre de Rhodes est
considérable et suscite de nombreuses vocations, notamment chez les « Bons Amis
» de Paris.
Dans le groupe des Bons Amis
figurent, entre autres, François Pallu, Pierre Lambert de la Motte et son frère
Nicolas, Ignace Cotolendi, François de Laval, Michel Gazil, Armand Poitevin,
Henri Boudon, Ango des Maizerets et son frère, Jean Dudouyt et comme directeur
spirituel le père Bagot, confesseur de Louis XIV. Ce sont de jeunes prêtres à
la foi ardente qui brûlent de se lancer dans ces périlleuses missions avec le
soutien d’Anne d’Autriche et de la Compagnie du Saint-Sacrement. Ils sont à
l’origine de la demande de création du Séminaire des Missions-Étrangères de
Paris (SME) en 1658[4]
auquel François de Laval unira le Séminaire des Missions-Étrangères de Québec (devenu aujourd'hui le Séminaire de Québec) qu’il fonde en 1663. Le moment est venu pour Rome de reprendre en main les missions confiées jusque là au patronat des rois d’Espagne et du Portugal et,
concrétisant l’idée d’Alexandre de Rhodes, le pape décide de nommer des
évêques, vicaires apostoliques, chargés
d’aller organiser un clergé local en Asie et sur les conseil du Père de Rhodes
il opte pour des candidats français[5].
Toutefois, pour ménager au mieux les susceptibilités royales, il ne crée pas de
nouveaux diocèses pour ces évêques qui sont nommés « in partibus »
(c’est-à-dire qu’on leur attribue des diocèses tombés précédemment entre les
mains des musulmans). Sur proposition des Pères Bagot[6] et de
Rhodes François de Laval, archidiacre d’Évreux, François Pallu, chanoine de
Saint Martin de Tours et de Pierre Picques, bachelier en théologie de la
Faculté de Paris[7],
sont choisis dans le groupe des jeunes prêtres prêts à aller dans les pays
lointains au Siam et au Tonkin qui couvrent en partie le Cambodge et le Vietnam
d’aujourd’hui. François de Laval renonce à l’Archidiaconat d'Évreux en 1653,
puis l’année suivante il renonce à la Seigneurie de Montigny et à ses droits et
il se prépare à sa mission en séjournant à l’Ermitage de M. Jean de Bernières à
Caen en Normandie. Il fait de fréquents séjours à Paris et ses anciens maîtres,
les jésuites, ont les yeux sur lui pour une affectation non plus au Tonkin,
mais en Nouvelle-France.
Pourquoi cette confiance en
ce jeune prêtre issu d’une famille noble, mais peu fortunée. Pourquoi ce choix?
Nous trouvons heureusement une réponse partielle à cette question en parcourant
les lettres de recommandations à Rome pour la nomination épiscopale. Elles nous
sont parvenues intactes.
1. 2 Des témoignages non équivoques
En 1653, comme nous l’avons dit, le père de Rhodes
est envoyé en France pour chercher et présenter aux autorités compétentes des
sujets suceptibles d’être ordonnés évêques pour les missions du Sud-Est
asiatique. Il présente à Rome trois noms dont celui de François de Laval qui
est proposé comme vicaire apostolique au Tonkin (Nord-Vietnam actuel). C’est à
cette occasion que sont rassemblées les informations canoniques qu’on a
longtemps crues perdues mais que Mgr Demers, un prêtre du Séminaire qui a
travaillé de nombreuses années à Rome pour la Cause de béatification de Mgr de
Laval a eu la chance de retrouver dans les archives de la Congrégation pour l’Évangélisation des peuples (dite
autrefois de la Propagation de la foi ou simplement « De Propaganda
fide »).[8]
Le précieux document daté du
5 novembre 1653 contient les témoignages de six personnes qui connaissent bien
François de Laval. La première personne interrogée répond à la dixième question
que François de Laval est « apte et capable de diriger une Église dans les
terres lointaines au milieu des infidèles à cause de son zèle des âmes et de la
gloire de Dieu ». La formule est reprise par d’autres personnes avec des
ajouts intéressants. Le second témoin note que François de Laval a abandonné
son héritage et qu’il s’est volontairement consacré à Dieu et à l’Église avec
ardeur pour apporter le salut aux autres. Le Père Bagot qui le connaît depuis
trente ans note qu’il sait parler aux gens simples et que les enseignements
qu’il donne à des scolastiques plaisent beaucoup. Son ami François Pallu, qui
dit le connaître depuis l’âge de vingt ans, le présente comme un prêtre pieux
faisant l’Eucharistie tous les jours. Les deux derniers témoins sont deux
laïcs. L’un qui le connaît depuis deux mois et qui le voit pour des rencontres
spirituelles. L’autre l’a vu en personne pour la première fois il y peu de
temps, mais, dit-il, dans les milieux catholiques qu’il fréquentait il avait
une réputation d’homme pieux et dévoué aux bonnes œuvres.
Le projet de nomination au
Tonkin amène François de Laval à quitter son ministère dans le diocèse d’Évreux
pour se préparer à l’ordination. Celle-ci va tarder pour diverses raisons dont
la mort du pape. Ce qui permet au Roi Louis XIV, le 26 janvier 1657, de proposer, à la demande des jésuites,[9] que
François de Laval aille en Nouvelle-France plutôt qu’au Tonkin.
…comme la conduite en doit être commise à une
personne de piété, de savoir et d'un zèle particulier pour 1'Eglise de Dieu,
écrit le roi Louis XIV, Nous avons cru devoir supplier Votre Sainteté d'y
engager le Père François de Laval de Montigny, dont les vertus l'ont rendu si
recommandable qu’il a été sollicité de plusieurs endroits d'aller travailler à
la vigne du Seigneur; à quoi il a. paru toujours en sorte disposé, que sans que
Dieu l'ait voulu réserver pour la Nouvelle-France, il fut parti pour le
Tonquin, recherché par les pères qui y ont prêché l'Évangile de les y aller
aider. Et ses informations ayant été approuvées par le sieur Bagny, lors nonce
de Votre Sainteté vers nous, et ensuite envoyées en cour de Rome pour vous être
présentées, il en fut empêché sans y avoir contribué, après avoir demandé qu'il
fut fait des prières afin qu’il plût à la divine Majesté l’éclairer de ce qui
était de sa volonté, qu'il était prêt d'embrasser et de suivre, ne taisant pas
que par des mouvements secrets il se sentait porté d'aller plutôt en un pays
sauvage, qu’en un civilisé et abondant en toutes les choses nécessaires à la
vie, qui ne se trouvent que très difficilement en la Nouvelle-France.[10]
Et le roi termine sa lettre en écrivant :
Nous eussions pu proposer à Votre Sainteté d'autres
personnes qui eussent pu avancer ce bon oeuvre, si nous n'avions jugée celle du
dit de Laval leur devoir être préférée par les témoignages qui nous ont été
rendus de son insigne piété par des personnes très éclairées, en sorte que
notre connaissance étant fortifiée de la leur, nous pouvons dire qu'il serait
difficile de commettre le soin d'un si vaste pays à quelqu'un qui s'en pût
mieux acquitter que lui.[11]
Ce que le pape accepte.
Les nouvelles informations
canoniques du 17 juillet 1657 en vue de la nouvelle nomination en
Nouvelle-France n’ajoutent rien à celles-ci si ce n’est que les témoins sont
différents.
2.0 L’horizon ou l’inspiration de l’action
missionnaire de François de Laval
Le jeune évêque vicaire apostolique sera consacré à
St Germain des Prés le 8 décembre 1658. Il se rend disponible pour un défi où
ses maîtres l’ont amené par leur action insistante réclamant en Nouvelle-France
un évêque qui partage le même esprit que le leur dans cette nouvelle contrée
sur les bords du St-Laurent. Comment caractériser cet esprit qui sera l’inspiration constante de
François de Laval? Arrêtons-nous un peu sur ce point.
2.1 L’ouverture aux cultures
Formé chez les jésuites,
François de Laval a été reçu en Nouvelle-France comme l’un des leurs. Sur le
terrain, il continuait, raconte-t-on, de participer lorsqu’il le pouvait à la
Congrégation mariale du Collège des jésuites à Québec le samedi. Le Père Jérôme
Lallemand était sur le même bateau que Mgr de Laval en 1659. Tout ceci, pour
dire que François de Laval a comme absorbé naturellement les méthodes des
missionnaires jésuites et leurs objectifs[12].
Les missionnaires jésuites
sont mus à la suite de saint François Xavier par un ardent désir d’annoncer
l’Évangile. Cet objectif ils en font leur unique but. Ils se distinguent ainsi
de plusieurs de leurs confrères des autres congrégations : capucins,
dominicains, augustins qui sont en général plus liés aux gouvernement et qui
oeuvrent sous le « patronage » des rois d’Espagne ou du Portugal. Les
jésuites, eux, ont résolument pris partie de se mettre au service de la
nouvelle congrégation « De Propaganda fide » et ainsi, ils se veulent
libres des attaches séculières pour ne s’afficher que comme des témoins et des
disciples de Jésus qu’ils veulent faire connaître aux nouvelles populations.
C’est ainsi qu’ils développeront
en Chine avec le Père Matteo Ricci, aux Indes avec le Père Nobili et au Vietnam
avec le Père de Rhodes la connaissance des populations comme base de leur
évangélisation. Cette connaissance amènera une intégration de coutumes et
d’usages propres à ces nouvelles chrétientés, une ouverture aux cultures. Ainsi
ils obtiennent de Rome de pouvoir célébrer l’Eucharistie en Chine la tête
couverte du bonnet traditionnel des lettrés[13]. Cette
approche est suivie dans leurs missions d’Amérique au Paraguay et en Nouvelle-France
où ils s’imposent d’incroyables efforts pour maîtriser les langues
amérindiennes. Ils suivent les tribus nomades et hivernent avec elles dans
l’inconfort et les privations de toutes sortes sans compter la dérision et les
quolibets bien souvent. Les rapports du supérieur des jésuites de Québec édités
sous le nom de Relations des jésuites sont devenus pour les chercheurs
d’incroyables mines de renseignements sur la culture et la vie des amérindiens
du XVIIe siècle.
François de Laval partage
totalement leur vision et, à la fin de son épiscopat au moment où il remet sa
démission, il prend occasion de la publication d’un livre en France pour en
apporter une confirmation convaincue où il redit toute son admiration et son
soutien aux jésuites qui oeuvrent en Nouvelle-France.
2.2 Un
appui aux « nouveaux chrétiens »
En 1687, lors de son quatrième séjour
en France, François de Laval, sollicité par ses amis du Séminaire des
Missions-Étrangères de Paris, écrit une recommandation du livre du
Père Le Tellier Défense des nouveaux Chrétiens de la Chine
et du Japon, contre deux livres intitulés « La Morale Pratique des
Jésuites » et « L’Esprit de M. Arnaud » Comme on le
voit par le titre c’est un ouvrage polémique qui a comme but de combattre deux
livres d’origine janséniste. Ceux-ci décriaient les méthodes des missionnaires
jésuites en Chine dans le sillage de Matteo Ricci. Le Père Le Tellier demanda à
Mgr de Laval une lettre d’appui qu’il mit en tête du volume. L’ouvrage du Père
Le Tellier fut réédité en 1688 puis douze ans plus tard en 1700.
Dans cette lettre d’appui,
François de Laval prend la défense de l’œuvre des jésuites en décrivant leur
action en Nouvelle-France qu’il a suivie depuis presque trente ans et qu’il
louange sans retenue.
Les
deux livres, dont le titre est marqué à la tête de celui-ci, produisaient [de]
méchants effets. C'est ce qui m'a fait prendre avec joie l'occasion que la
divine Providence m'a offerte d'ajouter ici à toutes les preuves que l'auteur
de cette défense apporte pour mettre la vérité en évidence, le témoignage
particulier que je puis rendre de la pureté de la Foi qu'ont embrassée et que
conservent par la miséricorde de Dieu les nouveaux Chrétiens du Canada, et de
la vie vraiment apostolique qu'ont menée les missionnaires qui travaillent
parmi eux, ainsi que je l'ai reconnu certainement par une expérience de
vingt-huit années, durant lesquelles il a plu à Dieu de me charger, nonobstant
mon indignité, du soin de cette Église naissante, où je me suis appliqué à
connaître assez à fond toutes les choses qui se sont passées tant de la part
des peuples sauvages qui ont reçu l'Évangile, que de la part de ceux qui le
leur ont porté.
Je
puis assurer en particulier à l'égard des Jésuites, qui y travaillent avec
zèle et bénédiction depuis longtemps, que j’ai été témoin de la sagesse, de la
droiture, du désintéressement et de la sainteté de leur conduite dans ces
missions. Il y a lieu de croire qu'ils agissent partout ailleurs par le même
esprit; car c'est ce que prétendent (quoique avec malignité) leurs adversaires,
quand ils répètent si souvent que par la conduite des particuliers il faut
juger de l'esprit qui anime tout le corps. [14]
Mgr de Laval est entraîné
malgré lui dans le tourbillon de la querelle des rites chinois. Un décret du pape, le 22 décembre 1700, met à
l’Index le livre du P. Le Tellier. François de Laval ne recule en rien dans son
appui aux méthodes des jésuites, mais il charge M. Glandelet, prêtre du
Séminaire et doyen du chapitre, de présenter une explicitation[15] de son
texte où est écrit au nom de Mgr de Laval
…il [François de
Laval] peut déclarer que sur les nouvelles qui lui sont venues de la fausseté
et de la condamnation du livre du P. Le Tellier, il est prêt de censurer et de
condamner tout ce qui aura été
censuré et condamné par le St-Siège et qu'il veut s'en tenir aux termes de son
approbation qu'autant qu'elle se trouvera conforme a la vérité, reconnaissant
le sentiment des personnes a qui l'on doit déférer, et qu'il ne doute pas que
le P. Le Tellier et les autres Jésuites, a qui il a voulu faire plaisir en
cette occasion, ne lui sachent bon gré du parti qu'il a pris.[16]
Mgr de Laval adopte une
attitude de soumission respectueuse sans entrer dans le fond du débat et comme
un bon évêque il affirme sa solidarité avec les décisions romaines sans les
juger. M. Glandelet avait pris soin plus haut au nom de Mgr de laval de
réitérer son admiration pour le travail des jésuites en Nouvelle-France.
…n'ayant prétendu à autre chose que de faire connaître
au public le juste sujet qu'il avait eu jusqu'alors de se louer de la conduite
de la plupart des jésuites missionnaires qui avaient travaillé dans son
diocèse, il a cru pouvoir se servir de cette expérience pour donner au livre de
la Défense des nouveaux Chrétiens l'approbation
qu'on lui a demandée.[17]
Le souffle missionnaire de
François de Laval est marqué comme on vient de le voir par celui des jésuites.
Qu’en est-il de son action directe sur le terrain concernant l’évangélisation.
Ce sera le troisième point de notre exposé.
3.0 Le terrain de l’action missionnaire de
François de Laval (les réalisations)
Le terrain des réalisations missionnaires de François de Laval est complexe. C’est pourquoi, il est important, au point de départ, de bien situer, en premier lieu, le cadre d’intervention de François de Laval qui n'éteint aucunenent un souffle missionnaire toujours présent. Puis, en second lieu, nous verrons la tonalité de l'action missionnaire de François de Laval : celle de la proximité avec les amérindiens que nous illustrerons par trois exemples. Enfin en troisième lieu, nous ferons état de sa contribution directe à l'évangélisation de deux nations amérindiennes au Mississipi que François de Laval avait ardemment désirée.
3.1 Une préoccupation toujours présente
Comme évêque, François de Laval est confronté à deux
registres d’action pastorale qui, dans le contexte du XVIIe siècle, relèvent
d’instances différentes. Du point de vue ecclésiastique, la congrégation
« De Propaganda Fide », créée en 1622, le considère comme un des
premiers vicaires apostoliques envoyés dans les contrées lointaines pour y
créer sur place un clergé et une structure d’Église qui assureront la continuité
de l’annonce de l’Évangile. Du point de vue civil, le Roi de France conserve
son autorité qui s’étend sur la nomination des évêques et l’érection des
diocèses. Ainsi, ce n’est qu’après de longues tractations qu’il accepte que la
congrégation procède à la nomination du vicaire apostolique en Nouvelle-France
en se réservant le droit de décider du moment où il deviendra évêque d’un
diocèse véritable. Dans la lettre d’acceptation de la nomination de Mgr de
Laval[18], le Roi
prend ses précautions en inscrivant à la fin de celle-ci :
…nous déclarons par ces présentes, signées de notre main, que nous
voulons et qu'il nous plaît que le sieur de Laval de Montigny, évêque de
Pétrée, soit reconnu par tous nos sujets, dans les dites provinces, pour faire
les fonctions épiscopales, sans préjudice des droits de la juridiction
ordinaire; et cela, en attendant l'érection d'un évêché, dont le titulaire sera
suffragant de l'archevêque de Rouen, du consentement irrévocable duquel nous
avons accepté la dite disposition de notre Saint-Père le Pape; car tel est
notre bon plaisir.
Cette
disposition explique les difficultés de Mgr de Laval avec Monsieur de Queylus
arrivé à Montréal en 1657 et que l’archevêque de Rouen avait nommé vicaire
général et avec le gouverneur à Québec. On comprend ainsi pourquoi il
travaillera si ardemment à l’érection de son vicariat apostolique en diocèse
qu’il obtiendra en 1674
Sur le terrain,
l’élan missionnaire de François de Laval va s’épanouir dans ce cadre nouveau,
il ne sera pas seulement le missionnaire mais aussi le pasteur d’une Église
naissante comme il le dit lui-même si souvent. En pratique il laissera aux
jésuites toute latitude dans les choix missionnaires et les projets à
favoriser. De son côté, il se concentrera sur la fondation et l’approbation d’institutions
destinées à consolider cette Église. Il fonda, en 1663, Séminaire des
Missions-Étrangères de Québec auquel il confie la formation des futurs prêtres
et la charge des paroisses. Le 20 mai 1669, il approuva les Filles de la
Congrégation Notre-Dame de sainte Marguerite Bourgeois. Il laissa aux
sulpiciens le soin pastoral de la région de Montréal.
Mais dans le
fond de son âme, François de Laval demeure toujours missionnaire. Il préfère
appeler les paroisses des missions desservies par des missionnaires. « Et pour
mieux conserver le premier esprit, il ordonna que toutes les cures seraient
appeléees des missions et les curé des missionnaires», écrit son premier
biographe Bertrand de La Tout.[19] Il souhaite la mobilité des prêtres et se
méfie des « cures inamovibles ». C’est pourquoi, il unit les
premières cures[20] qu’il crée,
comme celle de Ste-Anne de Beaupré, Château-Richer et l’Ange-Gardien, au
Séminaire de Québec, sauf celle de Notre-Dame à Montréal qu’il laisse aux
sulpiciens. Lors de ses visites pastorales il visite régulièrement les
« missions sédentaires » d’amérindiens établis à la Jeune Lorette à
Québec, à Sillery, à Tadoussac, à la Montagne à Montréal, à la
Prairie-de-la-Madeleine.
Son cœur ne
cesse de battre intensément dans ses rencontres personnelles avec les
amérindiens qui le lui rendent bien. L’abbé Auguste Gosselin raconte plusieurs
fait survenus au cours de ses rencontres comme le fameux baptême du chef
Garagonthié ou la mort d’un vielle amérindienne que François de Laval visitait
régulièrement à l’Hôtel-Dieu de Québec et pour qui il fait sonner les cloches
de la cathédrale[21].
3.2 Proximité avec les amérindiens
Cette attention aux personnes peut définir
l’approche de François de Laval avec les amérindiens. Dans le cadre de son
ministère, il favorise toutes les occasions de rapprochements avec eux. Tout de
suite après avoir mis pied à terre en Nouvelle-France à Percé, le 16 mai 1659,
François de Laval confirme 140 personnes dont plusieurs amérindiens. Il en est
très remué. En arrivant à Québec, le 16 juin 1659, dans un village d’à peine
300 personnes (1500 pour le village et les environs : Beauport, Côte de
Beaupré, Île d’Orléans, Kamouraska), il n’a de plus pressé que de visiter les
malades de l’Hôtel-Dieu et de rencontrer les amérindiens de la Mission des
pères jésuites de Sillery.
Cet intérêt et cette
attention ne se sont jamais démentis tout au cours de l’épiscopat de François
de Laval. Nous ne pouvons ici en faire le tour en quelques minutes. C’est
pourquoi j’ai choisi de retenir, parmi bien d’autres, trois faits particuliers qui l’illustrent à
merveille.
3.2.1 Hariaouagui : le nom huron de François de Laval
Le premier exemple que j’ai choisi vient d’un fait qui s’est se produit quelques jours après l’arrivée à Québec de François de Laval. En cette occasion, François de Laval est appelé d’un nom huron qui lui est resté pour toute sa vie : HARIAOUAGUI.
Les luttes tribales font rage entre les Hurons et les Iroquois. Un chef huron vient voir Mgr de Laval et lui dit : : « Ô Hariaouagui, nous ne sommes plus que l'ombre
d'un peuple jadis florissant. Faites quelque chose pour nous. (…) Si vous ne pouvez
obtenir de la France des soldats pour humilier et détruire trois ou quatre
villages de nos ennemis les Iroquois, du moins, donnez-nous du courage pour
leur résister. »[22] Cette
prière un peu primitive, peut-être, me fait penser à certains psaumes où l'on
demande au Seigneur d'écraser la tête de ses ennemis. (Ps 68,22). Le message est clair cependant. On attend de
Mgr de Laval qu’il se fasse proche des hurons, qu’il les écoute et qu’il
partage leurs soucis et leurs aspirations. Il semble qu’il l’a bien fait que le nom HARIAOUAGUI
est resté attaché à la personne de Mgr de Laval pendant toute sa vie.
Mais quel est donc le sens
de ce nom? On peut le traduire littéralement par «Ô homme de la grande
affaire ». Quelle est cette
« grande affaire »?
L'abbé Auguste Gosselin[23], le biographe le plus connu de François de
Laval, rapporte que les missionnaires jésuites se préoccupaient de parler aux
amérindiens de «la grande affaire de leur salut» comme étant plus importante
que toutes les autres affaires[24]. Ayant
déjà une certaine connaissance intuitive de Dieu; les amérindiens apprenaient
encore que le Dieu créateur du monde s'est lui-même fait connaître par des
prophètes et par son propre fils, Jésus de Nazareth, qui est venu faire une alliance
éternelle avec l’humanité à laquelle tous les peuples du monde sont appelés.
Pour une nation qui découvrait ce vaste horizon religieux du salut offert par
Dieu et dont la langue n'avait peut-être pas encore les mots plus spécifiques
nécessaires pour décrire une telle réalité, François de Laval devenait l'homme
de la « grande affaire », la « grande affaire du salut ».
Si cette interprétation[25] est
exacte, le nom de HARIAOUAGUI exprimait une perception élevée du message
religieux de François de Laval et une perception également élevée de la
fonction du porteur du message. On pourrait y voir une certaine affinité avec
le thème du BON PASTEUR utilisé par Jésus pour manifester la proximité avec les
personnes à l’exemple du berger qui s’occupe de toutes et chacune des ses
brebis.
HARIAOUAGUI,
« l' homme de la grande affaire », le « bon pasteur ».
Voilà ce que fut François de Laval par sa compassion et son attention aux
hurons et à toutes les autres nations amérindiennes avec lesquelles il est
entré en contact au cours des ses nombreuses visites pastorales.
3.2.2 Visite pastorale à Tadoussac
Ces visites pastorales sont le deuxième volet de la
proximité de François de Laval avec les populations. Il en fit quatre et à
chaque fois il s’arrêtait dans les missions où des amérindiens s’était
installés près des postes français.
Les Relations des jésuites
nous ont gardé le récit de la première de ces visites qu’il fit aux montagnais
de Tadoussac. Elle nous servira d’exemple car on peut s’imaginer qu’elle
ressemble aux autres dont nous n’avons pas de description précise. De plus,
François de Laval dans une lettre à un de ses amis, M. Poitevin, curé de
St-Josse à Paris, le 8 novembre
1668,
s’en dit encore tout émotionné et écrit :
« Si Notre-Seigneur me donne autant de santé l'an prochain que j'en ai ce
printemps, j'espère encore y retourner; car je vous avoue que s'ils ont
témoigné de la joie de nous y voir, nous n'en avons pas moins ressenti de notre
côté en cette visite. » [26]
Il faut dire que cette visite arrive au terme d’une tournée pastorale époustouflante que François de Laval fait en 1668 L’évêque a 45 ans et ne ménage pas ses forces. Il va au maximum de ses capac
Il faut dire que cette
visite arrive au terme d’une tournée pastorale époustouflante que François de
Laval fait en 1668 L’évêque a 45 ans et ne ménage pas ses forces. Il va au
maximum de ses capacités. La Relation des
jésuites de 1669 nous apprend qu’il a fait en 1668 la visite de tout son diocèse,
en canot. Après avoir parcouru toutes les agglomérations depuis Québec jusqu'à
Montréal, il descend le Richelieu jusqu'au Fort Sainte-Anne à l'entrée du lac
Champlain. Revenu à Québec, au début de juin, Mgr de Laval en repart pour aller
à trente lieues vers le Saguenay visiter les montagnais de Tadoussac dont
l’église avait brûlé en 1665. Il arrive Tadoussac le 24 juin, par une des plus
grandes chaleurs de l'été et est accueilli avec une joie indescriptible par
quatre cents amérindiens.
Le
récit de cette visite est tellement beau que vous me permettrez de vous en lire
la description faite par le rédacteur de la Relation des jésuites de 1667-1668.
M. l'Évêque le
sachant et ayant été informé dès le printemps de la satisfaction que les
sauvages de cette Église avaient donnée à leur pasteur, qui avait hiverné avec
eux dans les bois, fit savoir qu'il les visiterait. Cette nouvelle les consola
beaucoup. Mais son arrivée à Tadoussac, qui fut le 24 juin, les combla de joie,
qu'ils firent paraître en sa réception ; car s'etant trouvé en nombre de
quatre cents âmes à son débarquement, ils témoignèrent par la décharge de leurs
fusils et par leurs acclamations le contentement qu'ils avaient de voir une
persone qui leur était si chère et dont la plupart avait souvent experimenté
les bontés. Ils l'accompagnèrent ensuite en leur chapelle d'écorce, le feu
ayant réduit en cendre celle qu'on leur avait bâtie et la il leur fit dire le
motif de son arrivée en ce lieu, à savoir pour se conjouir avec eux de
l'affection qu’ils témoignent avoir envers leur Christianisme, pour administrer
le sacrement de confirmation à ceux qui ne l’ont pas reçu et pour les assurer
des bons sentiments que le Roi a pour eux, dont ils ont des marques bien
évidentes, par la paix a laquelle il a force les Iroquois. Cela fait, la
charité de ce digne évêque les ravit, lorsqu'au sortir de la chapelle ils le
virent entrer dans leurs cabanes les unes après les autres, pour y visiter les
malades et les capitaines, consolant ceux-la par sa présence, dont ils étaient
confus et par ses charités qu'il étendait sur eux, sur leurs pauvres veuves et
sur leurs orphelins et encourageant ceux-ci a appuyer la foi de leur autorité
et se maintenir toujours dans les devoirs de véritables Chrétiens; ce qu'il
renouvela en un célèbre festin…
…Les quatre jours
suivants furent employés à disposer à la confirmation ceux qui ne l'avaient pas
encore reçue. Ce sacrement fut administré à diverses reprises à cent
quarante-neuf personnes. La dévotion, avec laquelle ils ont récité et qu'ils
ont fait paraître partout ailleurs, a ravi Monseigneur et lui a fait avouer que
les peines qu'il a prises pour ce voyage lui donnent une satisfaction toute
particulière: de voir de ses propres yeux le Christianisme en vigueur et la
paix régner parmi ces pauvres sauvages.[27]
Ce
témoignage si touchant ne manque pas de faire ressortir la bonté, l’attention
aux personnes et la proximité de François de Laval avec les amérindiens. Cette
proximité viendra le chercher au plus profond de lui-même devant l’abus de l’alcool
engendré par le commerce qui semait désordres et misères dans les tribus.
Devant ce fléau, le cœur de pasteur de François de Laval ne pouvait rester
insensible. Il décida avec tout son talent de juriste et avec son autorité
d’évêque de monter aux barricades.
3.2.3 La querelle de l’eau-de-vie
Au-delà des aspects légaux et politiques de cette
bataille, on y reconnaîtra le souci du respect des personnes et de leur dignité
humaine. C’est pourquoi j’ai retenu ce
point comme troisième fait qui illustre le ton de l’action missionnaire de
François de Laval.
On dirait volontiers aujourd’hui qu’il s’agissait
d’un combat pour les droits de la personne. C'était un combat
des plus difficiles dans le contexte de l’époque. Et François de Laval y a mis
tout son talent, ses relations et sa notoriété pour mener un combat dont on
peut être fier. Il l’a perdu en pratique, mais sa détermination et son courage
font de lui un défenseur des amérindiens à l’égal de Barthélémy de las Casas
dans les Antilles avec les Indiens.
Cette saga a de nombreux
rebondissements. Elle commence dès le début du ministère épiscopal de François
de Laval. Elle oppose les commerçants qui revendiquent la liberté de commerce
et les partisans d’une approche plus éthique et respectueuse des amérindiens.
François de Laval prend la tête de ceux-ci. Il menace d’excommunication ceux
qui donnent de l’alcool aux amérindiens "pour tirer d'eux des
castors", comme dit Marie de l'Incarnation dans une lettre à son fils Dom
Claude Martin en 1662. [28]
Les choses s’enveniment. Le
gouverneur s’en mêle. Les théologiens de la Sorbonne donnent un avis positif
sur les interventions de l’évêque. La Cour de Louis XIV entre en action. La
question se retrouve devant le Roi qui finit par décréter, en 1679, qu’il est interdit de faire le commerce de
l’eau-de-vie en dehors des habitations françaises. Pour François de Laval,
c’est une décision malheureuse qui ouvre la voie à la contrebande.
Retenons de cette querelle
la fermeté de Mgr de Laval pour défendre les brebis les plus faibles confiées à
ses soins. Sur ce terrain il ne reculera jamais, même s’il touche du doigt les
limites de son autorité, ce qui l’amènera sur le registre d’un abandon à la
volonté de Dieu de plus senti et vécu. À mesure qu’il avancera en âge, il
développera cette ouverture et cette disponibilité à un degré tel qu’on peut y
voir la caractéristique principale de son expérience spirituelle.
3.3 Les
missions du Mississipi
Venons-en maintenant au troisième point retenu pour tenter de cerner l’action missionnaire de François de Laval qui nous amène sur le terrain de l’évangélisation directe comme le faisaient les jésuites. Cette contribution arrive à la fin de la vie de Mgr de Laval à travers ses fils spirituels, les prêtres du Séminaire. Il s’agit des missions du Mississipi auprès des Tamarois et des Cahokias.
Mgr de Laval
avait toujours désiré envoyer des prêtres du Séminaire des Missions-Étrangères
de Québec (devenu le Séminaire de Québec) auprès des amérindiens. « Ceux qui y réussiront
avec plus de bénédiction et qu'il y faut consacrer, écrit-il en 1687, doivent
être des sujets de grâce et qui aient de l'intérieur ».[29]
Malheureusement
quand il donne sa démission en 1685, il n’a pas pu encore réaliser ce désir. En
1697, François de Laval juge l’occasion favorable et demande à son successeur
Mgr de Saint-Valier de permettre aux prêtres du Séminaire de Québec d’aller
comme missionnaires au Mississipi. Mgr de Saint-Vallier qui venait de rentrer à
Québec après cinq ans d’absence et beaucoup de tensions entre lui et les prêtres
du Séminaire, accepte que ceux-ci aillent au Mississipi et il les autorise par
deux mandements en date des 30 avril et du 14 juillet d’établir des missions
« dans les lieux qu’ils jugeront les plus propres » et en particulier chez « les Tamarois
qui sont entre les Illinois et les Acansas ».
Quelques mots
sur cette incroyable aventure des prêtres du Séminaire de Québec qui dura
jusqu’à la Conquête anglaise et à laquelle le Séminaire de Québec mit fin par
une résolution de son Conseil en date du 8 mai 1768[30].
Les trois
prêtres choisis quittent Québec le 16 juillet 1697, puis après une brève halte
à Montréal, ils quittent Lachine le 24. Outre les trois prêtres l’équipe
comprend douze engagés. On voyage avec quatre canots d’écorce. Cette randonnée
de plus de treize cents milles se fait sans encombre majeur et le 27 décembre
le groupe atteint le pays des Arkansas[31]. Les prêtres
finissent par s’installer chez les Tamarois et les Cahokias dans un village de
trois cents cabanes[32].
En 1699[33],
dans une longue lettre à M. Tremblay, procureur du Séminaire à Paris, Mgr de
Laval se réjouit de l’initiative du Séminaire et il écrit entre autres cette
phrase révélatrice de son cœur missionnaire : « Notre-Seigneur par sa bonté
et miséricorde et par la protection particulière de sa sainte Mère a donné
beaucoup de bénédiction à l'envoi de ces missionnaires, qui ont été dans les
nations les plus éloignées et y ont établi deux missions considérables, qui
se trouvent par la Providence toutes proches des lieux auxquels M. d'Iberville
s'est transporté dans le Mississipi ».[34]
En conclusion,
on constate par ces quelques exemples que l’action missionnaire de François de
Laval fut constamment au premier plan de ses préoccupations même s’il devait
tempérer ses désirs de missionnaire par les exigences de sa mission de pasteur
d’une Église encore jeune et connaissant ses problèmes de croissance. Son âme et son cœur missionnaires ont toujours gardé la place première dans son cheminement spirituel. Envoyé comme « vicaire apostolique », François de Laval resta toute sa vie un « envoyé », un « missionnaire » de l’Évangile.
4.0 Un texte révélateur : Conseils aux
missionnaires
Les conseils aux missionnaires sont un des plus
beaux textes que nous ayons de François de Laval[35].
J’ai pensé terminer cet exposé sous forme de méditation à partir de quelques
phrases tirées de ces conseils aux missionnaires. Commençons par situer le
contexte de ce texte.
4.1 Le contexte
François de Laval s’adresse à deux
missionnaires qui ont décidé d’aller hiverner avec les amérindiens sur les
bords du Lac Ontario. Il s’agit de deux jeunes sulpiciens qui furent les
premiers prêtres séculiers à œuvrer auprès des amérindiens: Claude Trouvé et
François de Salagnac. Mgr de Laval les encourage dans leur
projet en leur concédant les juridictions nécessaires dans une très belle
lettre en date du 15 septembre 1668 à laquelle il joint ces conseils qui sont remarquables.[36]
4.2 Méditation
Je vais maintenant tout simplement
vous lire des extraits de ce texte qui se passe de commentaires.
François de Laval intitule son texte : Instruction pour nos
bien-Aimés en Notre-Seigneur Claude Trouvé et François de Salagnac, prêtres,
allant en mission aux Iroquois en la Côte du nord du lac Ontario.
1- Qu'ils se
persuadent bien qu'étant envoyés pour travailler à la conversion des infidèles,
ils ont l'emploi le plus important qui soit dans l'Église; ce qui les doit
obliger, pour se rendre dignes instruments de Dieu, à se perfectionner dans
toutes les vertus propres d’un missionnaire apostolique, méditant souvent à
l'imitation de saint François Xavier, le patron et l'idée [i.e. l'idéal] des
missionnaires, ces paroles de 1'Évangile: «Que sert à l’homme de gagner
l’univers, s’il perd son âme».
2- Qu'ils tâchent
d'éviter deux extrémités qui sont à craindre en ceux qui s'appliquent à la
conversion des âmes; de trop espérer ou de trop désespérer. Ceux qui espèrent trop sont souvent les
premiers à désespérer de tout à la vue des grandes difficultés qui se trouvent
dans l'entreprise de la conversion des infidèles, qui est plutôt l'ouvrage de
Dieu que de l'industrie des hommes. Qu'ils se souviennent que la semence de la
parole de Dieu « porte du fruit dans la patience ». Ceux qui n'ont
pas cette patience sont en danger, après avoir jeté beaucoup de feu au
commencement, de perdre enfin courage et de quitter l'entreprise.
3- La langue est
nécessaire pour agir avec les sauvages; c'est toutefois une des moindres
parties d'un bon missionnaire, de même que dans la France, de bien parler
français n'est pas ce qui fait prêcher avec fruit.
4- Les talents qui
font les bons missionnaires, sont:
1° Être rempli de l'esprit de Dieu.
Cet esprit doit animer nos paroles et nos coeurs. « La bouche parle de l’abondance du
cœur ».
2° Avoir une grande prudence pour
le choix et l'ordre des choses qu’il faut faire, soit pour éclairer
l'entendement, soit pour fléchir la volonté; tout ce qui ne porte point là sont
paroles perdues.
3° Avoir une grande application pour ne perdre pas les moments de salut
des âmes et suppléer à la négligence qui
souvent se glisse dans les catéchumènes; car comme le diable de son côté « vient
comme un lion rugissant, cherchant à dévorer », ainsi faut-il que nous
soyons vigilants contre ses efforts avec soin douceur et amour.
4° N’avoir rien dans notre vie et dans nos mœurs qui paraisse démentir ce
que nous disons ou qui mette de l’indisposition dans les esprits et dans les
coeurs de ceux qu’on veut gagner à Dieu.
5° Il faut se faire aimer par sa douceur, sa patience et sa charité et se
gagner les esprits et les coeurs pour les gagner à Dieu; souvent une parole
d'aigreur, une impatience, un visage rebutant, détruiront en un moment ce que
l’on avait fait en un long temps.
6° L'esprit de Dieu demande un cœur paisible, recueilli et non pas un
cœur inquiet et dissipé. Il faut un visage joyeux et modeste…
Conclusion
Je dois vous avouer en terminant que
ce fut pour moi une tâche des plus intéressantes que cette incursion dans
l’esprit et le cœur de notre fondateur le bienheureux François de Laval. Avec
ce fil conducteur qui m’avait été donné, j’ai été attentif à reconnaître les
passages du souffle missionnaire dans la vocation de François de Laval. J’avoue
qu’il m’a beaucoup impressionné. Je comprends mieux qu’il ait mis dans le
décret d’érection de la communauté des prêtres du Séminaire l’invitation
pressante à « aller à toutes rencontres ». Tout en étant préoccupé
comme nous l’avons vu de bien établir l’Église, il gardait sans cesse le regard
en avant.
N’est-ce pas ce que
nous sommes invités à faire encore aujourd’hui. Comme écrivait le grand
journaliste catholique français Georges Hourdin : « La fidélité à
l’Évangile n’est pas derrière nous, elle est devant nous » ? Soyons
prêts à « aller à toute rencontre ».
Merci.
Hermann Giguère, ptre, p.h.
Le 3 décembre 2007
[1] Lettre à l’abbé de Saint-Valier,
vicaire général, 1686, 15 février -15 mars dans ANP Document LI
p. 384. Le sigle ANP réfère à la
présentation pour le procès de béatification Quebecen. Beatificationis et Canonizationis Ven. Servi Dei Francisci de Montmorency-Laval
episcopi Quebecensis (+1708) Altera nova positio super virtutibus ex officio
critice disposita (Sacra
Rituum Congregatio, Sectio historica, 93), Polyglottis Vaticanis, 1956.
[2] Vachon, André, François de
Laval, Fides, Montréal /
P.U.L., Québec, 1980, p.11.
[3] Arrivé à Paris le 27 janvier 1653, le P. de
Rhodes est reçu par les Pères de Lingendes, provincial de France, Charles
Lalemant, supérieur de la maison professe, Charles Paulin, confesseur du jeune
roi Louis XIV et Jean Bagot, directeur de la grande Congrégation du collège de
Clermont dont François de Laval est membre. C’est probablement à la
résidence de la rue Copeau au faubourg Saint-Marcel où plusieurs des Bons Amis,
protégés du Père Bagot, faisaient vie
commune qu’eut lieu cette rencontre. « Au commencement de 1650, cinq des
Amis les plus zélés, François de Laval, François Pallu, Henri-Marie Boudon, Luc
Fermanel de Favery et Jean-Baptiste Gonthier, décidèrent d'habiter ensemble
afin de s'édifier mutuellement et de travailler avec plus d'efficacité au salut
du prochain. Après avoir logé en auberge, les associés emménagèrent dans une
maison de la rue Copeau (ou Coupeau, aujourd'hui rue Lacépède), au faubourg
Saint-Marcel. D'autres de leurs amis que ce projet de vie communautaire avait
séduits vinrent les rejoindre en octobre de la même année» écrit l’abbé Noël
Baillargeon dans Le Séminaire de Québec sous l'épiscopat de
Mgr de Laval, (Les Cahiers de l'Institut d'histoire, 18), Les
Presses de l'Université Laval, Québec, 1972, p. 11.
[4] La demande en date
du 1 juillet 1658 est signée par François de Laval, Pierre Lambert de la Motte
et François Pallu.
[5] Le P. de Rhodes, français de coeur, bien que citoyen
des États du Pape, ne partageait pas les craintes des milieux du Vatican qui
craignaient qu’à cause de la force du gallicanisme en France, des vicaires
apostoliques français seraient indociles vis-à-vis Rome.«J’ay cru que la France
estant le plus pieux Royaume du monde me fournirait plusieurs solodats qui
aillent à la conqueste de tout l’Orient, pour l’assujettir à Jésus-Christ, et
particulièrement que j’y trouverais moyen d’avoir des Evesques qui fussent nos
Pères et nos Maistres en ces Églises. Je suis sorti de Rome à ce dessein le
unziesme septembre de l’année mil six cens cinquante deux.». Moins de six mois
après, il était à Paris, ayant pris la route de Marseille et de Lyon, avec sans
doute un arrêt à Avignon; voyage relativement rapide pour un homme venu de si
loin et que devaient retenir ses confrères avides de l’entendre. Dès qu’il
s’approche de la capitale, il se réjouit à l’avance de l’accueil fraternel qui
l’attend à la maison professe, au noviciat, au collège de Clermont.
[6] « La grande
Congrégation était alors dirigée par le P. Bourdin. Après un intérim du P.
Moreau, le P. Bagot lui succéda en octobre 1646. L’institution de l’Aa de Paris
n’est donc pas due à l’initiative du P. Bagot, mais à partir de 1646, il en
sera l’âme; guidés par ses sages conseils, les «Bons Amis» verront se préciser
leurs aspirations à l’apostolat des nations lointaines; c’est lui qui indiquera
au Père Alexandre de Rhodes cette élite de jeunes gens capables de comprendre
les appels enflammés de l’apôtre du Tonkin, lui qui établira la première liste
de candidats à l’épiscopat pour les Missions-Étrangères, et quand il mourra le
23 août 1664, il aura eu la consolation de penser que les meilleurs de ses
disciples, les de Laval-Montigny, Pallu, Lambert de la Motte avaient pris en
main la direction des jeunes Églises de la Nouvelle-France, du Tonkin et de la
Cochinchine, que d’autres : Vincent de Meur, Gazil, Poitevin, tous anciens
commis de la première Aa de Paris, avaient définitivement établi le Séminaire
des Missions-Étrangères. » dans Henri Sy, Les Missions
Etrangères 1653-1663, Chapitre: 1 - Quartier Latin Article: 6 tiré de
http://archivesmep.mepasie.org/annuaire/france/publications/1900-1999/1998-02.htm
[7] À cause des retards
suscités par l’opposition du Portugal, Pierre Picques entre-temps acceptera la
cure de St-Josse à Paris où François de Laval séjournera souvent lors de ses
voyages en France. Pierre Picques sera remplacé par M. Poitevin un des membres
du groupe des Bons Amis qui y fut curé de
1664 à 1682 et premier procureur du Séminaire de Québec en France. C’est au
presbytère de la paroisse de Saint-Josse, qu’en 1680, François de Laval fit don
de tous ses biens au Séminaire de Québec.
[8]
ANP Document VI pp. 5 et ss.
[10] ANP Document IX p. 17
[11] Ibidem, p. 17
[12] De plus, l’Instruction
pour les vicaires apostoliques en partance vers l’Asie que le pape
Alexandre VII signait en 1659 énonçait parmi les règles à suivre en pays de
mission celle de s'adapter aux moeurs et coutumes du pays, en évitant de
s'ingérer dans les affaires politiques. François de Laval dont les vicaires
apostoliques étaient des amis connaissait a sûrement connu ce texte et s’en est
inspiré aussi. Voir des extraits dans Jean Comby, Deux mille
ans d’évangélisation, (Bibliothèque d’Histoire du Christianisme, n.
29), Desclée, Paris, 1992, p. 168.
[13] Jean Comby, Deux mille ans d’évangélisation, (Bibliothèque d’Histoire du
Christianisme, n. 29), Desclée, Paris, 1992, p. 159.
[14] Altera nova
positio pp. 600-601
[15] « Remarques sur
l'approbation de Mgr Messire François de Laval, premier évêque de Québec, donnée
le 25 octobre 1687, et la modification qu'on y
peut apporter » dans ANP Document LII pp. 603-607.
[16] Ibidem,
p. 606
[17] Ibidem,
p. 606
[18] Lettres patentes émises le 29 mars 1659.
[19] ANP Document LXIX p. 741.
[20] Sur l’union des cures
au Séminaire voir les réflexions de l’abbé Honorius Provost dans Vachon,
Louis-Albert, Mémorial, Presses de l’Université
Laval, Québec, 1963, pp.122 et ss.
[21] L’abbé Gosselin en
rapporte plusieurs autres tirées des Relations des jésuites.
[22] Père Jérôme Lallemant, Relations des Jésuites,
Kébec, le 12 septembre 1659.
[23] Gosselin, Auguste, Vie de Mgr de Laval, 2 vol., Imprimerie de L.-J. Demers et
Frère, Québec, 1890, 672 p. et 704 p.
[24] Loc. cit. t.1, p.
526.
[25] Je remercie monsieur
l’abbé Michel Fournier, curé de la paroisse Bienheureux François de Laval à
Québec, pour le développement de cette interprétation que je partage
totalement.
[26] ANP Document XLII p. 249
[27] Le terme « sauvages » n’a rien de péjoratif dans la bouche de Mgr de Laval. Il désigne de façon générale au XVIIe siècle les nations amérindiennes vivant dans la forêt qui se dit en latin : « selva » d’où le nom « sauvage ». Extrait de la
Relation des jésuites des années 1667-1668 dans ANP
Document XXII pp. 67-68. C’est nous qui soulignons.
[28] Lettre de Marie de l'Incarnation à son fils, 10 août 1662, dans ANP p. 59.
[29] Lettre de Mgr de
Laval aux prêtres du Séminaire le 9 juin 1687 dans ANP Document LI
(7) p. 479
[30] Baillargeon dans
Vachon, Mémorial p.119 note 19
[31] BAILLARGEON, Noël, Le Séminaire de Québec de 1685 à 1760 (Les Cahiers de
l'Institut d'histoire, 21), Les Presses de l'Université Laval, Québec, 1977, p. 381.
[32] L’histoire de ces
missions est assez douloureuse. Elles prirent fin en 1768 avec la conquête
anglaise. Le dernier missionnaire prit sur lui de vendre les biens en 1763. Il
s’enfuit à à la Nouvelle-Orléans et passa en France. Le Conseil du Séminaire
céda ce qui restait à la Fabrique de Cahokia par une résolution du Conseil du
Séminaire le 8 mai 1768. Deux missionnaires y
moururent assassinés : Nicolas Foucault tué par des Coroas ou
Coulois le 4 mai 1702 et l’un des trois fondateurs, Jean-François du Buisson de
Saint-Cosme qui tomba sous les flèches d’une bande de Chitimakas en se rendant
à Mobile en 1706. Pour plus de détails voir Baillargeon dans l’ouvrage cité à
la note précédente pp. 377-410.
[33] ANP Document LV pp. 609 et ss.
[34] Ibidem p. 611
[35] Instruction pour nos bien-aimés en
Notre-Seigneur Claude Trouvé et François de Salagnac, prêtres, allant en
mission aux Iroquois situés en la côte du nord du lac Ontario, 1668.
[36] ANP Document XXXVIII (2) pp. 212-214.
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