Le choix des lectures qui viennent d’être proclamées et, par voie de conséquence, les commentaires que j’en ferai s’inspirent de souvenirs qui me sont revenus et de témoignages que j’ai entendus depuis le décès de l’abbé Jean-Marie Thivierge.
«Un pédagogue et un éducateur hors pair», m’a dit de lui le supérieur provincial de ma famille religieuse qui l’a eu comme professeur en éléments latins. Un autre de ses anciens élèves confirmait : «Il n’était pas un simple enseignant, comme l’on désigne habituellement la profession de nos jours, mais un éducateur qui, selon l’étymologie latine du mot, fait grandir et sait tirer le meilleur de ses élèves, et un pédagogue qui, selon l’étymologie grecque du terme cette fois, a l’art d’enseigner aux jeunes. Les 32 années d’enseignement de M. Thivierge auxquelles s’ajoutent en parallèle 22 années consacrées à la conservation et à la mise en valeur du patrimoine artistique du Séminaire de Québec, font de lui le prototype des centaines de prêtres qui ont continué l’œuvre de Mgr de Laval, au Petit et Grand Séminaire de Québec. Je suis sûr que dans cette cathédrale, dans la nef aussi bien que dans le chœur, des anciens élèves qui ont retrouvé ce midi le chemin de leur alma mater pourraient s’associer à cet hommage envers l’un ou l’autre de ces prêtres qui ont contribué à structurer leur avenir.
Je n’élaborerai pas davantage sur le sujet, par respect de la modestie de mes confrères concernés, comme des règles liturgiques de l’homélie. Mais notre célébration, qui est action de grâce, nous permet d’inscrire nos motifs personnels de reconnaissance au Seigneur pour ce que nous avons reçu particulièrement de notre défunt, d’abord par l’intermédiaire des membres de sa belle famille largement représentée dans notre assemblée, puis à travers son engagement comme prêtre éducateur.
Mais venons-en à la Parole de Dieu. Ces deux textes m’ont été suggérés, à son insu évidemment, par un entretien impromptu avec l’abbé Thivierge peu après son déménagement à la résidence Cardinal-Vachon. Un tel déracinement, après 65 ans d’implantation entre les murs du Vieux Séminaire, invitait à la réflexion sur ses fins dernières. Avec le sourire contenu qui le caractérisait, M. Thivierge me disait : «Vous savez, je ne me fais aucune illusion. On nous traite bien ici, mais on ne nous ressuscite pas».
La Parole de Dieu, elle, ne parle que de résurrection, et c’est sûrement cette résurrection que notre défunt avait en tête et le faisait sourire d’aise. Une façon, bien typique du style de l’abbé Thivierge, de redire en un bout de phrase l’enseignement maintes fois repris par saint Paul : «Le corps, qui est notre demeure sur la terre doit être détruit, mais Dieu construit pour nous dans les cieux une demeure éternelle qui n’est pas l’œuvre des hommes».
En cette demeure éternelle, Jésus nous dit, dans un autre passage de l’Évangile, qu’il est allé nous préparer une place à chacun et chacune de nous. Nous devrions logiquement voir dans la mort le passage à une vie meilleure, selon l’expression consacrée. Alors, est-ce un manque de foi, si la mort nous fait peur? Si nous sommes plus sensibles à ce que nous quittons qu’à ce qui nous attend?
Si nous sommes de ce nombre, le récit de la résurrection de Lazare a de quoi nous déculpabiliser. Jésus manifeste une grande compréhension envers Marthe, la sœur de Lazare, qui lui reproche de n’avoir pas été là pour empêcher son frère de mourir. La perte de son ami et la peine de ses sœurs lui arrachent les larmes.
Quelques jours plus tard, il sera confronté lui-même à la perspective de sa mort qu’il a pourtant prévue, acceptée et annoncée à plusieurs reprises à ses apôtres. Mais le moment venu d’affronter cette heure fatidique, il ne peut réprimer une réaction bien humaine : «Père, fais que ce calice s’éloigne de moi». Personne, pas même le Fils de Dieu qui a vécu notre condition humaine en toute chose excepté le péché, n’est à l’abri du combat intérieur qu’éprouvent tous les humains devant le caractère inéluctable de la mort.
Nous y sommes d’ailleurs préparés par ce qui fait la trame de notre existence terrestre. On dit souvent que la vie est marquée, dès la naissance, du signe de la mort. Toute notre existence est tissée de petites morts que sont les deuils, les maladies, les échecs, autant de signes avant-coureurs de la mort. Cette même existence est parsemée de petites résurrections que sont les naissances, les guérisons, les victoires porteuses de bonheurs tels qu’elles engendrent l’aspiration au bonheur éternel. La résurrection promise par Jésus, que la Parole de Dieu répercute abondamment, est la seule réponse valable à ce besoin de vivre sans fin. La vie est trop belle pour ne pas être éternelle. Si on nie la résurrection parce qu’on ne peut répondre à toutes les questions sur son comment, ou qu’on se rabat sur des succédanés comme la réincarnation, on enlève du sens non seulement à la mort, mais à la vie elle-même.
C’est précisément cette certitude de notre résurrection que nous célébrons en ce moment, autour de la dépouille de notre frère et ami Jean-Marie, en attendant de le rejoindre dans la maison du Père.
Amen.
Mgr Maurice Couture
archevêque émérite de Québec
29 janvier 2011
Notice nécrologique pour monsieur l'abbé Jean-Marie Thivierge
«Un pédagogue et un éducateur hors pair», m’a dit de lui le supérieur provincial de ma famille religieuse qui l’a eu comme professeur en éléments latins. Un autre de ses anciens élèves confirmait : «Il n’était pas un simple enseignant, comme l’on désigne habituellement la profession de nos jours, mais un éducateur qui, selon l’étymologie latine du mot, fait grandir et sait tirer le meilleur de ses élèves, et un pédagogue qui, selon l’étymologie grecque du terme cette fois, a l’art d’enseigner aux jeunes. Les 32 années d’enseignement de M. Thivierge auxquelles s’ajoutent en parallèle 22 années consacrées à la conservation et à la mise en valeur du patrimoine artistique du Séminaire de Québec, font de lui le prototype des centaines de prêtres qui ont continué l’œuvre de Mgr de Laval, au Petit et Grand Séminaire de Québec. Je suis sûr que dans cette cathédrale, dans la nef aussi bien que dans le chœur, des anciens élèves qui ont retrouvé ce midi le chemin de leur alma mater pourraient s’associer à cet hommage envers l’un ou l’autre de ces prêtres qui ont contribué à structurer leur avenir.
Je n’élaborerai pas davantage sur le sujet, par respect de la modestie de mes confrères concernés, comme des règles liturgiques de l’homélie. Mais notre célébration, qui est action de grâce, nous permet d’inscrire nos motifs personnels de reconnaissance au Seigneur pour ce que nous avons reçu particulièrement de notre défunt, d’abord par l’intermédiaire des membres de sa belle famille largement représentée dans notre assemblée, puis à travers son engagement comme prêtre éducateur.
Mais venons-en à la Parole de Dieu. Ces deux textes m’ont été suggérés, à son insu évidemment, par un entretien impromptu avec l’abbé Thivierge peu après son déménagement à la résidence Cardinal-Vachon. Un tel déracinement, après 65 ans d’implantation entre les murs du Vieux Séminaire, invitait à la réflexion sur ses fins dernières. Avec le sourire contenu qui le caractérisait, M. Thivierge me disait : «Vous savez, je ne me fais aucune illusion. On nous traite bien ici, mais on ne nous ressuscite pas».
La Parole de Dieu, elle, ne parle que de résurrection, et c’est sûrement cette résurrection que notre défunt avait en tête et le faisait sourire d’aise. Une façon, bien typique du style de l’abbé Thivierge, de redire en un bout de phrase l’enseignement maintes fois repris par saint Paul : «Le corps, qui est notre demeure sur la terre doit être détruit, mais Dieu construit pour nous dans les cieux une demeure éternelle qui n’est pas l’œuvre des hommes».
En cette demeure éternelle, Jésus nous dit, dans un autre passage de l’Évangile, qu’il est allé nous préparer une place à chacun et chacune de nous. Nous devrions logiquement voir dans la mort le passage à une vie meilleure, selon l’expression consacrée. Alors, est-ce un manque de foi, si la mort nous fait peur? Si nous sommes plus sensibles à ce que nous quittons qu’à ce qui nous attend?
Si nous sommes de ce nombre, le récit de la résurrection de Lazare a de quoi nous déculpabiliser. Jésus manifeste une grande compréhension envers Marthe, la sœur de Lazare, qui lui reproche de n’avoir pas été là pour empêcher son frère de mourir. La perte de son ami et la peine de ses sœurs lui arrachent les larmes.
Quelques jours plus tard, il sera confronté lui-même à la perspective de sa mort qu’il a pourtant prévue, acceptée et annoncée à plusieurs reprises à ses apôtres. Mais le moment venu d’affronter cette heure fatidique, il ne peut réprimer une réaction bien humaine : «Père, fais que ce calice s’éloigne de moi». Personne, pas même le Fils de Dieu qui a vécu notre condition humaine en toute chose excepté le péché, n’est à l’abri du combat intérieur qu’éprouvent tous les humains devant le caractère inéluctable de la mort.
Nous y sommes d’ailleurs préparés par ce qui fait la trame de notre existence terrestre. On dit souvent que la vie est marquée, dès la naissance, du signe de la mort. Toute notre existence est tissée de petites morts que sont les deuils, les maladies, les échecs, autant de signes avant-coureurs de la mort. Cette même existence est parsemée de petites résurrections que sont les naissances, les guérisons, les victoires porteuses de bonheurs tels qu’elles engendrent l’aspiration au bonheur éternel. La résurrection promise par Jésus, que la Parole de Dieu répercute abondamment, est la seule réponse valable à ce besoin de vivre sans fin. La vie est trop belle pour ne pas être éternelle. Si on nie la résurrection parce qu’on ne peut répondre à toutes les questions sur son comment, ou qu’on se rabat sur des succédanés comme la réincarnation, on enlève du sens non seulement à la mort, mais à la vie elle-même.
C’est précisément cette certitude de notre résurrection que nous célébrons en ce moment, autour de la dépouille de notre frère et ami Jean-Marie, en attendant de le rejoindre dans la maison du Père.
Amen.
Mgr Maurice Couture
archevêque émérite de Québec
29 janvier 2011
Notice nécrologique pour monsieur l'abbé Jean-Marie Thivierge