Ils portent des phylactères très larges Mt 23, 1-12 (Crédits photo : Bernadette Lopez, alias Berna dans Évangile et peinture)
Le message de l’évangile d’aujourd’hui qui vient d’être lu est clair. Jésus nous invite à fuir l’hypocrisie et à développer l’humilité dans nos vies et dans nos communautés chrétiennes. Le prophète Malachie tient un discours semblable dans la première lecture et saint Paul se décrit plein de douceur et d’affection pour ses frères et sœurs de la ville de Thessalonique en Grèce qu’il a évangélisés. Revenons à l’évangile.
I - Les reproches aux pharisiens
Jésus commence par une charge contre l’hypocrisie des pharisiens. Leur hypocrisie prend divers chemins qu'il dénonce vigoureusement.
Il leur reproche premièrement de ne pas mettre leurs actes et leurs gestes en accord avec ce qu’ils disent. Leur agir n’est pas cohérent avec leurs paroles.
En second lieu, il leur reproche d’imposer aux autres des fardeaux pesants qu’eux se dispensent de porter. Ils chargent les autres d’obligations qu’eux ne respectent pas.
En troisième lieu, et c’est un reproche qu’on retrouve ailleurs, Jésus condamne l’ostentation dont font preuve les pharisiens qui privilégient la façade au lieu de l’intérieur. Ils aiment se montrer pieux en public. Ils portent des signes de dévotion exagérés, de grands phylactères. Il s’agit d’une petite boîte cubique enfermant des bandes de parchemin sur lesquelles sont inscrits des versets de l’Écriture Sainte. Cet usage est encore présent aujourd’hui chez les juifs pieux. Les pharisiens cherchaient à se montrer plus zélés que les autres et s’en glorifiaient.
Ces trois reproches montrent comment s’inscrivent les comportements hypocrites. Ils ne sont pas réservés aux pharisiens. Ils nous guettent encore aujourd’hui. C’est pour cela qu’au début de chaque temps du Carême, l’Église nous invite à relire le passage suivant de saint Mathieu : « Ce que vous faites pour devenir des justes, évitez de l’accomplir devant les hommes pour vous faire remarquer…quand vous priez, ne soyez pas comme les hypocrites : ils aiment à se tenir debout dans les synagogues et aux carrefours pour bien se montrer aux hommes quand ils prient… Mais toi, quand tu pries, retire-toi dans ta pièce la plus retirée, ferme la porte, et prie ton Père qui est présent dans le secret ; ton Père qui voit dans le secret te le rendra ». (Mathieu 6, 5-6)
Voilà des comportements à l’opposé de ceux des pharisiens.
II - L'humilité, fondement de la vie chrétienne
Les premiers chrétiens à qui s’adressent saint Paul et saint Mathieu l’avaient bien compris. Il avaient retenu l’enseignement de Jésus qui figure ici après les reproches aux pharisiens et la condamnation de l’hypocrisie : « Qui s’élèvera sera abaissé et qui s’abaissera sera élevé ». Cet enseignement met de l’avant la vertu d’humilité, une humilité vécue simplement, sans bruit et sans éclats.
La dernière phrase de l’évangile que je viens de citer mérite une petite explication, car à la prendre au pied de la lettre on pourrait croire que l’humilité est comme un jeu de qui perd gagne, une façon de s’élever sans que cela paraisse. Ce qui n’est pas le cas dans le message de Jésus. L’abaissement dont il parle est à comprendre en relation avec le regard et l’amour de Dieu sur chacun et chacune de nous. C’est lui qui « élève » et qui « abaisse ».
La véritable humilité est ainsi une remise entre les mains de Dieu, un abandon confiant comme ce fut le cas de sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus qui avait découvert ce chemin et qui s’en est faite la promotrice dans ce qu’on a appelé la « petite voie ». Elle invitait à laisser la puissance de Dieu agir et à se jeter dans les bras de Dieu, notre Père, comme un enfant.
L’humilité c’est la reconnaissance de notre petitesse devant Dieu. Elle devient ainsi le pilier solide de notre relation à Dieu et aux autres.
III – Des règles pour les disciples
Il y a plusieurs dangers sur le chemin de l’humilité. Jésus les dénonce en les caractérisant par des titres qu’on revendique comme « Rabbi (professeur), Père ou Maître ». Il est direct et invite à ne pas se laisser emporter dans leur sillage. On pourrait dire qu’il récuse ainsi tout ce qui entoure ces titres : l’autoritarisme, le paternalisme, l’exploitation des petits, l’orgueil du savoir etc. L’humilité vraie se traduit dans le service et l’amour fraternel. « Le plus grand parmi vous sera votre serviteur » dit Jésus.
Les mots que Jésus cite comme « Père » et « Maître » sont utilisés encore aujourd’hui dans l’Église, mais il est à souhaiter que ce qu’ils impliquent comme dérive hypocrite et orgueilleuse ne se matérialise pas. Le pape François est d’un puissant appui sur ce chemin. Ses titres « Pape, Souverain Pontife, Sa Sainteté etc. » font place pour lui à celui d’Évêque de Rome, de Serviteur des serviteurs de Dieu, de Frère parmi ses frères et sœurs. C’est ce que saint Augustin proclamait avec bonheur dans une phrase célèbre que je vous traduis : « Je suis chrétien avec vous, et évêque pour vous ».
Nos communautés chrétiennes et notre Église vivent les exigences évangéliques dans diverses situations sociales et historiques. Elles sont incarnées. Elles pourront avoir des figures concrètes qui empruntent aux usages du temps ou des contrées où elles vivent, mais elles ne devront jamais mettre de côté l’essentiel du message de Jésus qui invite à développer en nous et dans nos communautés des attitudes d’humilité qui favorisent le partage, le service, l’entraide, la compassion, la miséricorde dont notre monde a tant besoin.
Conclusion
Il est important aujourd’hui que le discours chrétien ne soit pas fait seulement de mots. Nous employons volontiers les mots de « frères » et de « sœurs » pour parler de ceux et celles qui partagent notre foi et même pour tous les autres. Demandons au Seigneur au cours de cette messe que ces mots ne soient pas seulement des mots, mais qu’ils deviennent pour nous des réalités vécues concrètement.
À chaque Eucharistie nous pourrons alors en vérité célébrer une rencontre fraternelle qui ouvre sur la rencontre parfaite où avec le Christ ressuscité nous nous retrouverons pour louer et chanter la gloire de Dieu pour l’éternité.
Redisons avec humilité, si vous le voulez bien, cette prière du psaume 130 que nous avions comme chant de méditation :
Garde mon âme dans la paix près de toi, Seigneur.
Seigneur, je n'ai pas le cœur fier
ni le regard ambitieux ;
je ne poursuis ni grands desseins,
ni merveilles qui me dépassent.
Non, mais je tiens mon âme
égale et silencieuse ;
mon âme est en moi comme un enfant,
comme un petit enfant contre sa mère.
Amen!
Mgr Hermann Giguère P.H.
Faculté de théologie et de sciences religieuses
de l'Université Laval
Séminaire de Québec
31 octobre 2017
I - Les reproches aux pharisiens
Jésus commence par une charge contre l’hypocrisie des pharisiens. Leur hypocrisie prend divers chemins qu'il dénonce vigoureusement.
Il leur reproche premièrement de ne pas mettre leurs actes et leurs gestes en accord avec ce qu’ils disent. Leur agir n’est pas cohérent avec leurs paroles.
En second lieu, il leur reproche d’imposer aux autres des fardeaux pesants qu’eux se dispensent de porter. Ils chargent les autres d’obligations qu’eux ne respectent pas.
En troisième lieu, et c’est un reproche qu’on retrouve ailleurs, Jésus condamne l’ostentation dont font preuve les pharisiens qui privilégient la façade au lieu de l’intérieur. Ils aiment se montrer pieux en public. Ils portent des signes de dévotion exagérés, de grands phylactères. Il s’agit d’une petite boîte cubique enfermant des bandes de parchemin sur lesquelles sont inscrits des versets de l’Écriture Sainte. Cet usage est encore présent aujourd’hui chez les juifs pieux. Les pharisiens cherchaient à se montrer plus zélés que les autres et s’en glorifiaient.
Ces trois reproches montrent comment s’inscrivent les comportements hypocrites. Ils ne sont pas réservés aux pharisiens. Ils nous guettent encore aujourd’hui. C’est pour cela qu’au début de chaque temps du Carême, l’Église nous invite à relire le passage suivant de saint Mathieu : « Ce que vous faites pour devenir des justes, évitez de l’accomplir devant les hommes pour vous faire remarquer…quand vous priez, ne soyez pas comme les hypocrites : ils aiment à se tenir debout dans les synagogues et aux carrefours pour bien se montrer aux hommes quand ils prient… Mais toi, quand tu pries, retire-toi dans ta pièce la plus retirée, ferme la porte, et prie ton Père qui est présent dans le secret ; ton Père qui voit dans le secret te le rendra ». (Mathieu 6, 5-6)
Voilà des comportements à l’opposé de ceux des pharisiens.
II - L'humilité, fondement de la vie chrétienne
Les premiers chrétiens à qui s’adressent saint Paul et saint Mathieu l’avaient bien compris. Il avaient retenu l’enseignement de Jésus qui figure ici après les reproches aux pharisiens et la condamnation de l’hypocrisie : « Qui s’élèvera sera abaissé et qui s’abaissera sera élevé ». Cet enseignement met de l’avant la vertu d’humilité, une humilité vécue simplement, sans bruit et sans éclats.
La dernière phrase de l’évangile que je viens de citer mérite une petite explication, car à la prendre au pied de la lettre on pourrait croire que l’humilité est comme un jeu de qui perd gagne, une façon de s’élever sans que cela paraisse. Ce qui n’est pas le cas dans le message de Jésus. L’abaissement dont il parle est à comprendre en relation avec le regard et l’amour de Dieu sur chacun et chacune de nous. C’est lui qui « élève » et qui « abaisse ».
La véritable humilité est ainsi une remise entre les mains de Dieu, un abandon confiant comme ce fut le cas de sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus qui avait découvert ce chemin et qui s’en est faite la promotrice dans ce qu’on a appelé la « petite voie ». Elle invitait à laisser la puissance de Dieu agir et à se jeter dans les bras de Dieu, notre Père, comme un enfant.
L’humilité c’est la reconnaissance de notre petitesse devant Dieu. Elle devient ainsi le pilier solide de notre relation à Dieu et aux autres.
III – Des règles pour les disciples
Il y a plusieurs dangers sur le chemin de l’humilité. Jésus les dénonce en les caractérisant par des titres qu’on revendique comme « Rabbi (professeur), Père ou Maître ». Il est direct et invite à ne pas se laisser emporter dans leur sillage. On pourrait dire qu’il récuse ainsi tout ce qui entoure ces titres : l’autoritarisme, le paternalisme, l’exploitation des petits, l’orgueil du savoir etc. L’humilité vraie se traduit dans le service et l’amour fraternel. « Le plus grand parmi vous sera votre serviteur » dit Jésus.
Les mots que Jésus cite comme « Père » et « Maître » sont utilisés encore aujourd’hui dans l’Église, mais il est à souhaiter que ce qu’ils impliquent comme dérive hypocrite et orgueilleuse ne se matérialise pas. Le pape François est d’un puissant appui sur ce chemin. Ses titres « Pape, Souverain Pontife, Sa Sainteté etc. » font place pour lui à celui d’Évêque de Rome, de Serviteur des serviteurs de Dieu, de Frère parmi ses frères et sœurs. C’est ce que saint Augustin proclamait avec bonheur dans une phrase célèbre que je vous traduis : « Je suis chrétien avec vous, et évêque pour vous ».
Nos communautés chrétiennes et notre Église vivent les exigences évangéliques dans diverses situations sociales et historiques. Elles sont incarnées. Elles pourront avoir des figures concrètes qui empruntent aux usages du temps ou des contrées où elles vivent, mais elles ne devront jamais mettre de côté l’essentiel du message de Jésus qui invite à développer en nous et dans nos communautés des attitudes d’humilité qui favorisent le partage, le service, l’entraide, la compassion, la miséricorde dont notre monde a tant besoin.
Conclusion
Il est important aujourd’hui que le discours chrétien ne soit pas fait seulement de mots. Nous employons volontiers les mots de « frères » et de « sœurs » pour parler de ceux et celles qui partagent notre foi et même pour tous les autres. Demandons au Seigneur au cours de cette messe que ces mots ne soient pas seulement des mots, mais qu’ils deviennent pour nous des réalités vécues concrètement.
À chaque Eucharistie nous pourrons alors en vérité célébrer une rencontre fraternelle qui ouvre sur la rencontre parfaite où avec le Christ ressuscité nous nous retrouverons pour louer et chanter la gloire de Dieu pour l’éternité.
Redisons avec humilité, si vous le voulez bien, cette prière du psaume 130 que nous avions comme chant de méditation :
Garde mon âme dans la paix près de toi, Seigneur.
Seigneur, je n'ai pas le cœur fier
ni le regard ambitieux ;
je ne poursuis ni grands desseins,
ni merveilles qui me dépassent.
Non, mais je tiens mon âme
égale et silencieuse ;
mon âme est en moi comme un enfant,
comme un petit enfant contre sa mère.
Amen!
Mgr Hermann Giguère P.H.
Faculté de théologie et de sciences religieuses
de l'Université Laval
Séminaire de Québec
31 octobre 2017