Dessin d'un enfant du primaire représentant François de Laval en attitude d`accueil les bras étendus et son Église naissante ensoleillée par la Parole de Dieu.
Célébrer cinquante ans - et plus - d’ordination presbytérale, c’est s’accorder une pause, revoir le chemin parcouru, jeter un coup d’oeil sur un avenir qui devient de plus en plus restreint. Quand nous regardons l’évolution des cinquante dernières années, nous pourrions être enclins à partager une certaine morosité. Au moment où avec sept confrères j’étais ordonné prêtre pour le diocèse de Sainte-Anne, tous les espoirs étaient permis. Le Québec avait commencé sa révolution tranquille et nous sentions que le Concile Vatican II, qui allait bientôt s’ouvrir, apporterait un vent de fraîcheur sur notre vieille Église. Vingt-cinq plus tard, l’inquiétude avait succédé à l’enthousiasme : le nombre des grands séminaristes baissait inexorablement et l’on parlait de plus en plus d’une « Église conduite au désert ». Mais nous nous pensions au creux de la vague et nous avions confiance que la situation allait bientôt se rétablir. Un autre vingt-cinq ans plus tard, nous sommes toujours dans le désert, il devient de plus en plus aride et nous n’en voyons pas le terme : l’arrivée dans la Terre Promise n’est pas pour demain.
Il pourrait être alors tentant de nous laisser aller à la nostalgie, de regretter nos premières années de ministère dans une Église encore triomphante et de reprendre la complainte du lévite exilé se souvenant des splendeurs de la liturgie du Temple de Jérusalem : « Oui, je me souviens et mon âme sur moi s’épanche : je m’avançais sous le toit du Très-Grand vers la maison de Dieu, parmi les cris de joie, l’action de grâces, la rumeur de la fête ! » (Ps 41)
Mais se pourrait-il que le Seigneur attende de nous la réaction du même lévite qui tout aussitôt se reprend : « Qu’as-tu mon âme à défaillir et à gémir sur moi ? Espère en Dieu ».
Il me semble que nous trouvons dans la vie du Bx François de Laval des éléments de discernement. Particulièrement interpellante - en tout cas pour quelqu’un qui est à la retraite - particulièrement interpellante est son attitude durant les vingt dernières années de sa vie.
D’abord la volonté même de retourner à Québec après sa démission est significative de son amour pour l’Église du Canada à laquelle il s’est donné corps et âme. « Le Bon Pasteur donne sa vie pour ses brebis ». « Si je retourne, écrit-il au ministre du Roi, ce n’est uniquement que pour achever d’y finir mes jours en repos et avoir la consolation de mourir dans le sein de mon Église. » (11). Mais de repos, il n’en aura point. Il remplace Mgr de Saint-Vallier durant ses trois séjours en France, ce qui représente environ 17 ans d’absence. Et puis, il a la douleur de voir son successeur s’attaquer à ce qui peut être considéré comme l’oeuvre de sa vie, le Séminaire de Québec. Dans cette épreuve, il manifeste une force d’âme et un abandon exemplaire. À un confrère du Séminaire des Missions-Étrangères de Paris, il écrit : « Vous jugerez bien que s’il y a eu une croix amère pour moi, c’est celle-ci, puisque c’est l’endroit où j’ai toujours dû être le plus sensible, je veux dire le renversement du Séminaire, que j’ai toujours considéré, comme en effet il l’est, comme l’unique soutien de cette Église et tout le bien qui s’y fait. Mais au milieu de toutes ces agitations, nous ne devons pas nous abattre si les hommes ont du pouvoir pour détruire, la main de Notre-Seigneur est infiniment plus puissante pour édifier. Nous n’avons qu’à lui être fidèles et le laisser faire » (p.18). Dans cet acte d’abandon du vieil évêque, n’y a-t-il pas comme l’écho des recommandations de saint Paul à Timothée : « Mais toi, en toute chose, garde ton bon sens, supporte la souffrance, travaille à l’annonce de l’Évangile, accomplis jusqu’au bout ton ministère » (2 Tim 4, 5).
Face aux incertitudes de l’avenir et à l’appauvrissement de notre Église, c’est à cet acte d’abandon que semble nous convier le Seigneur. Abandon qui n’est pas démission, mais comme chez François de Laval, abandon qui s’enracine dans une certitude, celle « que la main de Notre-Seigneur est infiniment plus puissante pour édifier » que celle des hommes pour abattre. « Nous n’avons, ajoute-t-il qu’à lui être fidèles et le laisser faire ». « Être fidèle au Seigneur et le laisser faire ». Dépouillée de ses accomplissements, de ses fastes d’autrefois, l’Église toute entière et chacun d’entre nous sommes invités à redécouvrir la présence active du Seigneur qui nous accompagne sur notre route. Dans la mesure où nous serons fidèles à cette présence, dans la mesure où nous nous laisserons transformer par elle et où nous collaborerons aux initiatives suggérées, l’Esprit du Seigneur fera surgir dans notre désert des pousses nouvelles. Il en fait déjà, mais elles sont discrètes et souvent nous ne les voyons pas.
Dans le voeu de l’Immaculée que les prêtres agrégés font chaque année, - mais que les prêtres auxiliaires et les prêtres associés peuvent aussi faire - dans ce voeu, Mgr de Laval a confié à son Séminaire un devoir en héritage : celui de prier pour « tous les habitants de cette contrée » pour qu’il plaise au Seigneur « les maintenir et protéger, donnant la connaissance de son saint Nom à ceux qui ne l’ont pas encore - [ou qui ne l’ont plus], et à tous la persévérance en sa sainte grâce et en son saint amour ». Cet héritage, cette mission est plus actuelle que jamais et elle est toujours à notre portée. Par-delà les siècles, je me plais à imaginer qu’elle s’étend à tout le territoire de l’immense diocèse confié en son temps à Mgr de Laval. Soyons y fidèles et nous aurons déja contribué pour notre modeste part à l’annonce de la Bonne Nouvelle en cette terre d’Amérique qui est la nôtre.
Mgr Pierre Gaudette P.H.
6 mai 2011
Il pourrait être alors tentant de nous laisser aller à la nostalgie, de regretter nos premières années de ministère dans une Église encore triomphante et de reprendre la complainte du lévite exilé se souvenant des splendeurs de la liturgie du Temple de Jérusalem : « Oui, je me souviens et mon âme sur moi s’épanche : je m’avançais sous le toit du Très-Grand vers la maison de Dieu, parmi les cris de joie, l’action de grâces, la rumeur de la fête ! » (Ps 41)
Mais se pourrait-il que le Seigneur attende de nous la réaction du même lévite qui tout aussitôt se reprend : « Qu’as-tu mon âme à défaillir et à gémir sur moi ? Espère en Dieu ».
Il me semble que nous trouvons dans la vie du Bx François de Laval des éléments de discernement. Particulièrement interpellante - en tout cas pour quelqu’un qui est à la retraite - particulièrement interpellante est son attitude durant les vingt dernières années de sa vie.
D’abord la volonté même de retourner à Québec après sa démission est significative de son amour pour l’Église du Canada à laquelle il s’est donné corps et âme. « Le Bon Pasteur donne sa vie pour ses brebis ». « Si je retourne, écrit-il au ministre du Roi, ce n’est uniquement que pour achever d’y finir mes jours en repos et avoir la consolation de mourir dans le sein de mon Église. » (11). Mais de repos, il n’en aura point. Il remplace Mgr de Saint-Vallier durant ses trois séjours en France, ce qui représente environ 17 ans d’absence. Et puis, il a la douleur de voir son successeur s’attaquer à ce qui peut être considéré comme l’oeuvre de sa vie, le Séminaire de Québec. Dans cette épreuve, il manifeste une force d’âme et un abandon exemplaire. À un confrère du Séminaire des Missions-Étrangères de Paris, il écrit : « Vous jugerez bien que s’il y a eu une croix amère pour moi, c’est celle-ci, puisque c’est l’endroit où j’ai toujours dû être le plus sensible, je veux dire le renversement du Séminaire, que j’ai toujours considéré, comme en effet il l’est, comme l’unique soutien de cette Église et tout le bien qui s’y fait. Mais au milieu de toutes ces agitations, nous ne devons pas nous abattre si les hommes ont du pouvoir pour détruire, la main de Notre-Seigneur est infiniment plus puissante pour édifier. Nous n’avons qu’à lui être fidèles et le laisser faire » (p.18). Dans cet acte d’abandon du vieil évêque, n’y a-t-il pas comme l’écho des recommandations de saint Paul à Timothée : « Mais toi, en toute chose, garde ton bon sens, supporte la souffrance, travaille à l’annonce de l’Évangile, accomplis jusqu’au bout ton ministère » (2 Tim 4, 5).
Face aux incertitudes de l’avenir et à l’appauvrissement de notre Église, c’est à cet acte d’abandon que semble nous convier le Seigneur. Abandon qui n’est pas démission, mais comme chez François de Laval, abandon qui s’enracine dans une certitude, celle « que la main de Notre-Seigneur est infiniment plus puissante pour édifier » que celle des hommes pour abattre. « Nous n’avons, ajoute-t-il qu’à lui être fidèles et le laisser faire ». « Être fidèle au Seigneur et le laisser faire ». Dépouillée de ses accomplissements, de ses fastes d’autrefois, l’Église toute entière et chacun d’entre nous sommes invités à redécouvrir la présence active du Seigneur qui nous accompagne sur notre route. Dans la mesure où nous serons fidèles à cette présence, dans la mesure où nous nous laisserons transformer par elle et où nous collaborerons aux initiatives suggérées, l’Esprit du Seigneur fera surgir dans notre désert des pousses nouvelles. Il en fait déjà, mais elles sont discrètes et souvent nous ne les voyons pas.
Dans le voeu de l’Immaculée que les prêtres agrégés font chaque année, - mais que les prêtres auxiliaires et les prêtres associés peuvent aussi faire - dans ce voeu, Mgr de Laval a confié à son Séminaire un devoir en héritage : celui de prier pour « tous les habitants de cette contrée » pour qu’il plaise au Seigneur « les maintenir et protéger, donnant la connaissance de son saint Nom à ceux qui ne l’ont pas encore - [ou qui ne l’ont plus], et à tous la persévérance en sa sainte grâce et en son saint amour ». Cet héritage, cette mission est plus actuelle que jamais et elle est toujours à notre portée. Par-delà les siècles, je me plais à imaginer qu’elle s’étend à tout le territoire de l’immense diocèse confié en son temps à Mgr de Laval. Soyons y fidèles et nous aurons déja contribué pour notre modeste part à l’annonce de la Bonne Nouvelle en cette terre d’Amérique qui est la nôtre.
Mgr Pierre Gaudette P.H.
6 mai 2011