L`abbé Michel Fournier lisant sa lettre au Curé d`Ars
Lisez le texte de cette lettre ou regardez la vidéo qui est à la fin de cet article.
Mercredi, 5 mai 2010 Lettre à saint Jean-Marie Vianney, prêtre. Curé d’Ars.
Cher confrère et cher collègue,
Permettez-moi de m’adresser à vous avec ces mots qui comportent sans doute un peu d’audace, mais qui disent aussi la vérité. Confrères, nous le sommes par notre mutuelle appartenance à l’ordre des prêtres dans lequel nous avons été introduits par l’imposition des mains et la prière consécratoire de l’ordination, et collègues nous le sommes aussi par la participation à une tâche pastorale équivalente, spécialement celle de curé qui a charge d’âmes dans une paroisse.
Si les deux mots confrères et collègues nous rapprochent beaucoup, malgré la distance du temps qui nous sépare, je me rends bien compte de mon audace en me rappelant la place de tout premier plan que vous occupez sur l’horizon de la vie ecclésiale. Dans notre culture religieuse, le titre de curé d’Ars fait immédiatement référence à une figure sacerdotale exemplaire, à un pasteur incomparable. Votre réputation de sainteté a fait connaître dans toute l’Église cet humble village d’Ars qui autrement serait sans doute resté comme bien d’autres perdu dans l’anonymat.
Je me permets de solliciter votre attention et vos avis en portant un regard en parallèle sur votre engagement ecclésial et sur le mien, sur votre ministère paroissial et sur le mien. Je m’adresse à vous qui êtes entré dans la lumière de la vie éternelle depuis cent cinquante ans alors que moi je marche encore dans l’obscurité de l’histoire. Je me confie à vous qui êtes déjà entré dans la terre promise, alors que moi je chemine encore dans l’exode du désert.
Votre naissance et votre jeunesse se sont déroulées dans une période de grandes tribulations sociales : révolution, guerres impériales, rapports tumultueux entre votre pays et la papauté. Conserver ou affirmer sa fidélité à la foi catholique pouvait vite conduire à la clandestinité, à une exclusion de la société. À l’inverse, il me semble que ma jeunesse a plutôt été portée par un vaste élan d’enthousiasme; un vent de renouveau inspirait confiance. On avait la conviction de pouvoir façonner l’avenir mieux que ce que le passé nous donnait. On allait pouvoir rendre le monde et l’Église meilleurs. Comme le disait une chanson populaire, c’était «le début d’un temps nouveau».
Après deux ans et demi de ministère, on vous a confié la charge pastorale d’une toute petite paroisse qui comptait à peine quelque 230 habitants. Cette plus que modeste portion du peuple de Dieu a grandi lorsque des foules de plus en plus nombreuses ont commencé à accourir à vous en provenance de toute les régions de la France et aujourd’hui, c’est toute l’Église, et notamment tout le corps presbytéral, qui est illuminée par le témoignage de votre foi. Pour moi, c’est le mouvement contraire qu’on observe. Si les églises étaient généreusement remplies pour les messes dominicales au début de mon ministère, elles sont plutôt tristement dégarnies aujourd’hui et parmi les présences, on observe que les têtes blanches sont la vaste majorité.
Alors, comment peut-on servir et guider le Peuple de Dieu, selon les termes de l’interrogation que l’évêque nous a adressée à l’ordination, si ce peuple nous répond comme les Athéniens à saint Paul après son discours à l’Aréopage : «Sur cette question, nous t’écouterons une autre fois» (Ac 17, 32)? Comment annoncer la Parole et exposer la foi catholique si les gens vont vers d’autres maîtres pour calmer leur démangeaison d’entendre du nouveau (Cf. 1 Tm 4, 3) et si de faux docteurs viennent séduire les esprits et les cœurs avec les artifices d’un beau langage?
À l’époque actuelle, comme ce fut souvent le cas dans le passé, la barque de l’Église navigue sur des eaux agitées. La conduite scandaleuse de certains prêtres et le gouvernement pastoral mal avisé de certaines autorités de l’Église sapent la crédibilité de l’institution. Comme si ce n’était pas assez, il y a une relecture du rôle de l’Église dans notre histoire qui est faite et sa contribution à l’évolution et au mieux-être de la société est dénigrée et jugée au filtre du soupçon de la recherche de pouvoir sur les esprits et les cœurs.
Il ne manque pas de compatriotes qui veulent, au mieux, reléguer toute manifestation de la religion à la sphère exclusive de la vie privée, ou d’autres qui militent pour sa disparition pure et simple. Pour plusieurs, l’Évangile n’est plus une bonne nouvelle.
Le repli sur la nostalgie du passé est une tentation qui peut séduire alors qu’il vaut mieux, selon les mots du bienheureux pape Jean XXIII dans son discours d’ouverture du Concile du Vatican, tenter de «reconnaître les desseins mystérieux de la Providence divine qui, à travers la succession des temps et les travaux des hommes, la plupart du temps contre toute attente, atteignent leur fin et disposent tout avec sagesse pour le bien de l’Église, même les événements contraires».
À distance, votre ministère a donné une singulière fécondité alors que les fruits du mien me semblent bien pauvres. Mais admirer les beaux résultats de votre travail pastoral ne doit pas masquer l’ampleur des efforts que vous y avez mis en «endurant le poids du jour et de la chaleur» (cf. Mt 20,13) pendant quarante-et-un ans à la cure d’Ars.
Cher confrère, cher collègue, si vous veniez dans une paroisse de chez nous, vous verriez bien vite qu’il est loin le temps où les notables jouaient du coude pour occuper des fonctions dans des œuvres d’Église. La grande affaire du salut des âmes est dénuée d’urgence ou de priorité dans l’échelle des valeurs. Il y a une sorte de panne spirituelle qui prive les gens d’une espérance bienfaisante et si précieuse aux heures d’épreuve ou de doute. Alors je vous le demande : avez-vous quelques lumières à m’offrir pour éclairer la route devant moi?
On raconte qu’en vous rendant à Ars pour y exercer votre apostolat, vous avez demandé la direction du village à un petit garçon et suite à sa réponse vous lui avez dit: «Tu m’as montré le chemin d’Ars, je te montrerai le chemin du ciel». Est-ce une légende ou est-ce un fait avéré, peu importe car il y a là un message beau et riche de sens sur notre ministère.
Dans la foulée de l’anecdote qui précède et dans l’esprit du psaume 138, permettez-moi, cher confrère, cher collègue, de terminer cette missive en vous demandant, avec confiance et reconnaissance, de me guider «sur le chemin d’éternité» (v. 24).
Bien à vous,
Michel Fournier, prêtre
curé
Mercredi, 5 mai 2010 Lettre à saint Jean-Marie Vianney, prêtre. Curé d’Ars.
Cher confrère et cher collègue,
Permettez-moi de m’adresser à vous avec ces mots qui comportent sans doute un peu d’audace, mais qui disent aussi la vérité. Confrères, nous le sommes par notre mutuelle appartenance à l’ordre des prêtres dans lequel nous avons été introduits par l’imposition des mains et la prière consécratoire de l’ordination, et collègues nous le sommes aussi par la participation à une tâche pastorale équivalente, spécialement celle de curé qui a charge d’âmes dans une paroisse.
Si les deux mots confrères et collègues nous rapprochent beaucoup, malgré la distance du temps qui nous sépare, je me rends bien compte de mon audace en me rappelant la place de tout premier plan que vous occupez sur l’horizon de la vie ecclésiale. Dans notre culture religieuse, le titre de curé d’Ars fait immédiatement référence à une figure sacerdotale exemplaire, à un pasteur incomparable. Votre réputation de sainteté a fait connaître dans toute l’Église cet humble village d’Ars qui autrement serait sans doute resté comme bien d’autres perdu dans l’anonymat.
Je me permets de solliciter votre attention et vos avis en portant un regard en parallèle sur votre engagement ecclésial et sur le mien, sur votre ministère paroissial et sur le mien. Je m’adresse à vous qui êtes entré dans la lumière de la vie éternelle depuis cent cinquante ans alors que moi je marche encore dans l’obscurité de l’histoire. Je me confie à vous qui êtes déjà entré dans la terre promise, alors que moi je chemine encore dans l’exode du désert.
Votre naissance et votre jeunesse se sont déroulées dans une période de grandes tribulations sociales : révolution, guerres impériales, rapports tumultueux entre votre pays et la papauté. Conserver ou affirmer sa fidélité à la foi catholique pouvait vite conduire à la clandestinité, à une exclusion de la société. À l’inverse, il me semble que ma jeunesse a plutôt été portée par un vaste élan d’enthousiasme; un vent de renouveau inspirait confiance. On avait la conviction de pouvoir façonner l’avenir mieux que ce que le passé nous donnait. On allait pouvoir rendre le monde et l’Église meilleurs. Comme le disait une chanson populaire, c’était «le début d’un temps nouveau».
Après deux ans et demi de ministère, on vous a confié la charge pastorale d’une toute petite paroisse qui comptait à peine quelque 230 habitants. Cette plus que modeste portion du peuple de Dieu a grandi lorsque des foules de plus en plus nombreuses ont commencé à accourir à vous en provenance de toute les régions de la France et aujourd’hui, c’est toute l’Église, et notamment tout le corps presbytéral, qui est illuminée par le témoignage de votre foi. Pour moi, c’est le mouvement contraire qu’on observe. Si les églises étaient généreusement remplies pour les messes dominicales au début de mon ministère, elles sont plutôt tristement dégarnies aujourd’hui et parmi les présences, on observe que les têtes blanches sont la vaste majorité.
Alors, comment peut-on servir et guider le Peuple de Dieu, selon les termes de l’interrogation que l’évêque nous a adressée à l’ordination, si ce peuple nous répond comme les Athéniens à saint Paul après son discours à l’Aréopage : «Sur cette question, nous t’écouterons une autre fois» (Ac 17, 32)? Comment annoncer la Parole et exposer la foi catholique si les gens vont vers d’autres maîtres pour calmer leur démangeaison d’entendre du nouveau (Cf. 1 Tm 4, 3) et si de faux docteurs viennent séduire les esprits et les cœurs avec les artifices d’un beau langage?
À l’époque actuelle, comme ce fut souvent le cas dans le passé, la barque de l’Église navigue sur des eaux agitées. La conduite scandaleuse de certains prêtres et le gouvernement pastoral mal avisé de certaines autorités de l’Église sapent la crédibilité de l’institution. Comme si ce n’était pas assez, il y a une relecture du rôle de l’Église dans notre histoire qui est faite et sa contribution à l’évolution et au mieux-être de la société est dénigrée et jugée au filtre du soupçon de la recherche de pouvoir sur les esprits et les cœurs.
Il ne manque pas de compatriotes qui veulent, au mieux, reléguer toute manifestation de la religion à la sphère exclusive de la vie privée, ou d’autres qui militent pour sa disparition pure et simple. Pour plusieurs, l’Évangile n’est plus une bonne nouvelle.
Le repli sur la nostalgie du passé est une tentation qui peut séduire alors qu’il vaut mieux, selon les mots du bienheureux pape Jean XXIII dans son discours d’ouverture du Concile du Vatican, tenter de «reconnaître les desseins mystérieux de la Providence divine qui, à travers la succession des temps et les travaux des hommes, la plupart du temps contre toute attente, atteignent leur fin et disposent tout avec sagesse pour le bien de l’Église, même les événements contraires».
À distance, votre ministère a donné une singulière fécondité alors que les fruits du mien me semblent bien pauvres. Mais admirer les beaux résultats de votre travail pastoral ne doit pas masquer l’ampleur des efforts que vous y avez mis en «endurant le poids du jour et de la chaleur» (cf. Mt 20,13) pendant quarante-et-un ans à la cure d’Ars.
Cher confrère, cher collègue, si vous veniez dans une paroisse de chez nous, vous verriez bien vite qu’il est loin le temps où les notables jouaient du coude pour occuper des fonctions dans des œuvres d’Église. La grande affaire du salut des âmes est dénuée d’urgence ou de priorité dans l’échelle des valeurs. Il y a une sorte de panne spirituelle qui prive les gens d’une espérance bienfaisante et si précieuse aux heures d’épreuve ou de doute. Alors je vous le demande : avez-vous quelques lumières à m’offrir pour éclairer la route devant moi?
On raconte qu’en vous rendant à Ars pour y exercer votre apostolat, vous avez demandé la direction du village à un petit garçon et suite à sa réponse vous lui avez dit: «Tu m’as montré le chemin d’Ars, je te montrerai le chemin du ciel». Est-ce une légende ou est-ce un fait avéré, peu importe car il y a là un message beau et riche de sens sur notre ministère.
Dans la foulée de l’anecdote qui précède et dans l’esprit du psaume 138, permettez-moi, cher confrère, cher collègue, de terminer cette missive en vous demandant, avec confiance et reconnaissance, de me guider «sur le chemin d’éternité» (v. 24).
Bien à vous,
Michel Fournier, prêtre
curé